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faire qu’elle et sa gouvernante n’eussent à subir aucun affront en traversant le camp.

Grâce aux rigides préceptes qu’elle avait reçus de l’auteur de ses jours, l’aimable Camille ne savait que s’incliner et obéir. Sitôt qu’elle eut pris connaissance du message de son père, elle fit ses arrangemens de départ, et quatre jours après quitta Dresde, et se mit en route avec sa tante. Selon les instructions qu’on lui marquait, sa première étape fut au quartier-général du roi. Sur ces entrefaites, Frédéric, ayant reçu la lettre de Chasot, s’était gracieusement empressé de donner des ordres en conséquence. Il reçut la jolie visiteuse dans une cabane de paysan, debout, une main appuyée sur une table, et tenant de l’autre la missive de son ancien favori. Lorsque Camille entra, le roi fixa sur elle son regard d’épervier, puis, après l’avoir longtemps examinée avec complaisance, il lui demanda « si elle n’avait pas eu grand’peur de s’aventurer ainsi à travers le camp. » La jeune fille se contenta de répondre simplement : « Mon père me l’a ordonné, et je suis partie. » Cette candide soumission charma le roi, qui laissa voir aussitôt dans ses grands beaux yeux l’intérêt que lui inspirait la chère enfant. La conversation se prolongea quelque temps encore, lui de plus en plus bienveillant et paternel, elle de moins en moins effarouchée. Puis Frédéric l’exhorta fort à cacher soigneusement ses bijoux et surtout ce délicieux minois, qui, tout autant que l’or et les pierreries, était capable de tenter les bandes de pillards qui battaient le pays, et ne la congédia qu’après l’avoir dûment mise sous la protection d’un de ses officiers, chargé par lui de l’escorter avec un peloton de cavalerie jusqu’à l’extrême limite du camp. Quelques jours plus tard, Camille arrivait à Lubeck saine et sauve, et son père lui présentait Chasot. Soit que le chevalier fût, comme on dit, bien conservé, soit que l’éclat de son renom fît oublier la disproportion d’âge, on peut croire qu’il ne déplut point trop, car les choses s’arrangèrent tout de suite. Partie de Dresde aux derniers jours de juin, Camille Torelli épousait le 17 juillet le chevalier de Chasot, joyeux et triomphant d’avoir ainsi trouvé la châtelaine de sa jolie résidence de Marly.

Cette union, commencée en manière de roman, tourna au parfait ménage. Ainsi qu’il arrive souvent aux roués de son espèce, Chasot, qui n’avait jusqu’alors fréquenté que des comédiennes et des beautés faciles, se trouva fort étonné d’aimer pour la première fois de sa vie. C’était sans aucun doute s’y prendre un peu tard; mais dans ce cœur de gentilhomme et de soldat l’enthousiasme avait persisté, et l’adorable enfant fut courtisée avec toute la tendresse dont elle était digne. Elle aussi commençait à connaître l’amour, et l’initiation n’en avait pas moins de charmes, pour lui venir d’un époux