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varié d’un seul mot, attendu qu’un grand monarque écrivant l’histoire de son temps se doit tout à la vérité, et que s’il est parfois permis de raturer d’un trait de plume les hauts faits de nos bons amis, il ne saurait jamais l’être de passer leurs erreurs sous silence.


II.

Nous sommes à Lubeck en l’an de grâce 1759 : le commandant militaire de la ville libre et impériale vient de mourir ; il s’agit de nommer son successeur, et de tous les pays voisins les candidats arrivent. À ce nom seul de Lubeck, quelles idées ne se réveillent pas de richesse et de grandeur commerciales ! On voit revivre la Venise teutonique avec ses comptoirs opulens, ses factoreries florissantes, ses colonies nombreuses que protège une flotte active, moitié marchande et moitié guerrière, capable, avec le double esprit qui l’anime, de nouer des relations sur tous les points du globe et de maintenir sa suprématie dans la Baltique. Plus de cinquante villes de la Mer du Nord saluaient dans Lubeck leur capitale ; là se tenait le conseil suprême, ce sénat de bourgeois non moins habiles à négocier avec les puissances étrangères qu’intrépides à commander le feu dans l’occasion, et dont Ænéas Silvius Piccolomini écrivait au XVe siècle « qu’ils avaient assez d’influence dans trois grands pays, la Suède, le Danemark et la Norvège, pour y pouvoir faire et défaire des rois ! » Au XVIIIe siècle, avons-nous besoin de le dire ? l’éclat de cette gloire s’était, hélas ! terriblement amoindri : de sa couronne anséatique, la ville impériale avait vu choir une perle après l’autre ; depuis 1669, Lubeck n’avait pas revu de congrès, et cependant la cité « sérénissime et impériale » brillait encore au premier rang parmi les villes d’Allemagne. À défaut de son importance politique évanouie, il lui restait le crédit que donnent les richesses ; sa bourse prospérait, son pavillon faisait partout bonne figure. D’ailleurs on y menait gaiement la vie. Après comme avant, Lubeck était le port par excellence pour passer d’Allemagne en Livonie, à Pétersbourg, en Danemark, en Suède. Les voyageurs qui affluaient là toute l’année ne demandaient pas mieux que de s’y attarder au milieu des vieux souvenirs de la métropole anséatique, qui, par ses monumens et ses églises, par son hôtel de ville, son arsenal, ses remparts, ses ponts, ses forteresses, montrait encore ce qu’elle avait pu être dans le passé. Un autre intérêt que vers cette période la ville de Lubeck offrait à l’observateur, c’était la physionomie originale de sa société, composée non point seulement, comme on pourrait croire, de riches négocians et de patriciens autochthones, mais aussi de ce qu’il y avait de plus élevé dans les diverses aristocraties du voisinage. Appartenir au magnifique chapitre de Lubeck