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Les résidences des souverains du Nord sont peuplées de ces figures avec lesquelles le visiteur français aime à se retrouver en pays de connaissance. Je sais parfaitement tout ce qu’on pourrait dire sur la manière au moins étrange dont ce monde-là entendait le patriotisme, mais il faut voir aussi que chez la plupart de ces chevaliers normands ou bourguignons l’esprit du moyen âge survivait, et qu’on serait mal venu de les vouloir juger d’après les notions de la morale actuelle. A mesure qu’on s’éloigne du moyen âge, le nombre de ces héroïques aventuriers diminue; s’ils figurent encore par centaines dans la guerre de trente ans, la guerre de sept ans n’en a que quelques-uns à nous montrer, et au milieu d’eux brille le chevalier de Chasot. Retiré à Lubeck sur ses vieux jours, par suite d’une brouille avec son royal ami, Chasot entreprit d’écrire des mémoires qui, tout incomplets qu’ils fussent restés de son vivant, et en dépit d’altérations causées par la regrettable négligence des divers héritiers qui se les sont transmis, n’en conservent pas moins un intérêt réel pour les amateurs de curiosités historiques. Un archiviste intelligent et qui d’ordinaire a la main heureuse, M. Kurd de Schloezer, vient de remettre en lumière ces fragmens épars et tronqués, qui encore, pour n’être pas une simple découverte de savant, pour valoir quelque chose aux yeux du public, auraient besoin d’être étendus, complétés et reliés entre eux à l’aide de documens recueillis dans les diverses correspondances de l’époque, et surtout dans les souvenirs de famille. Quelqu’un qui de la sorte écrirait la monographie du chevalier de Chasot arriverait peut-être à produire un travail qui, même après l’ouvrage de M. Carlyle, pourrait ajouter quelques pages piquantes à l’histoire de Frédéric et de son temps. Comme prince et comme général d’armée, Frédéric est une de ces figures de premier plan qui ne souffrent pas de voisinage : avec lui, vous pouvez contempler le roi sans songer à ses ministres, le capitaine sans vous informer de ses lieutenans; mais si vous changez le lieu de la scène, si de son existence politique et militaire vous passez à la vie privée du monarque, des conditions toutes contraires se présentent. Ici le tableau succède au portrait, et c’est au milieu du groupe de ses amis qu’il faut voir cet homme pour se rendre compte de son caractère et de son activité.

Que Chasot appartînt à ce groupe, qu’il en fut un des membres les plus importans, les lettres de Voltaire nous le disent assez, et cependant Voltaire ne l’aimait pas. A Rheinsberg, Chasot faisait la pluie et le beau temps; nous l’y trouvons installé en 1740, sans trop savoir comment il y est arrivé. Tout ce qu’il raconte, c’est qu’à l’âge de dix-huit ans, servant à l’armée du Rhin en qualité de lieutenant sous les drapeaux du maréchal de Berwick, il lui arriva de dégainer avec