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tra d’aspirer aussi à une vie indépendante et personnelle. Nous voici loin du temps des fabuleux antichthones. Ce que sont ces habitans du monde opposé au nôtre, nous ne l’ignorons plus ; quelle terre est leur patrie, ce ne sont plus des poètes, inventeurs de légendes, qui le demandent à leur imagination ; nos naturalistes et nos géologues, avec des échantillons du sol et des plantes dans la main, sont venus nous le dire, et l’Angleterre a couvert de son commerce et de son industrie cette région lointaine, dernier refuge de la fable et de l’hypothèse. Dans les îles de l’Océan austral, l’or résonne, le convict mêle ses réclamations bruyantes aux rudes voix des squatters ; on entend retentir sous la hache les vieux arbres transformés en charpentes, on voit défiler en bandes innombrables les troupeaux importés d’Europe; l’artillerie tonne, les pavillons se saluent, les vaisseaux débarquent leur peuple d’émigrans, la foule avide se mêle et se presse, et devant ces bruits nouveaux le passé tout entier s’efface, et, avec ses sauvages et pittoresques épisodes, disparaissent aussi les sites incultes, les forêts séculaires, sombres décors de la nature qui servaient de cadre aux danses bizarres, aux coutumes étranges, aux repas de chair humaine. Un grand changement s’effectue de nos jours, au commandement de l’Europe, sur le théâtre du monde : là où il y avait isolement, nous avons imposé les relations et le mélange; aux régions silencieuses de la barbarie, nous avons fait connaître le tumulte de notre civilisation. Il est aisé de pressentir quel intérêt offrira l’histoire des sociétés nouvelles de l’Océanie, si leur avenir répond à leurs commencemens. — Pour signaler tout d’abord l’idée qui domine son livre, le dernier historien de la colonisation zélandaise, M. Hursthouse, l’intitule Zealandia, the Britain of the south (la Bretagne du sud), et peut-être a-t-il raison; la Nouvelle-Zélande ne le cédera sans doute en rien dans l’avenir à l’Angleterre. Le beau-père de Tacite, Agricola, se fût bien étonné si on fût venu lui dire : Le sol barbare que foulent vos légions sera un des foyers de la civilisation dans le monde; le petit fleuve au large estuaire, derrière lequel s’abritent les tribus farouches des Angles et des Pictes, baignera les pieds d’une ville grande comme la capitale de l’empire. Pour nous, en présence des faits qui s’accomplissent incessamment sous nos yeux, nous ne sommes pas en droit d’être surpris à la pensée que les générations qui nous auront succédé comptent un jour parmi les centres les plus actifs de leur puissance Hobart-Town, l’industrieuse capitale de la Tasmanie, et Auckland, cette ville qui vient de naître à l’extrémité de la Nouvelle-Zélande.


ALFRED JACOBS.