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solitaire; à droite, le Mont-Wellington projette sa masse énorme. Primitivement on l’appelait Table-Mount. Le sommet, entièrement plat, se présente en effet de loin comme une table gigantesque; c’est un plateau de plusieurs milles d’étendue, qui termine brusquement une chaîne de hautes montagnes. Du côté de la ville, il finit à pic par un précipice de près de 1,500 mètres, et ouvre aux yeux une perspective de quarante milles dans l’île et sur l’Océan. De toutes parts se dressent de gigantesques colonnes de basalte, parfois si régulières qu’on les croirait taillées par la main de l’homme, et d’énormes débris gisent entassés comme une image du chaos. De l’autre côté du Derwent se dessinent des montagnes moins abruptes, chargées de bois et de cultures, du milieu desquels se détachent de jolies villas. Au pied même du Wellington, sur des éminences d’où l’œil domine encore le cours de la rivière, apparaissent les premiers établissemens et les maisons de la ville. La pierre qui a servi à les construire est belle et abonde aux environs; les rues sont larges, bien pavées; on y trouve de somptueux magasins et de beaux quais. Le port peut contenir cent soixante-quatorze bâtimens; la population dépasse vingt-trois mille âmes. Enfin, outre la gazette du gouvernement, cinq journaux bi-hebdomadaires sont publiés à Hobart-Town. Des bâtimens de cent tonneaux seulement peuvent remonter le Derwent jusqu’à New-Norfolk, petite ville récente, mais déjà industrieuse et prospère, qui est située dans une belle position à vingt et un milles de la capitale. New-Norfolk est renommée pour les magnifiques forêts d’érables et de plus qui l’enveloppent et s’étendent jusqu’aux bords de la rivière à laquelle l’officier français Huon a laissé son nom lors du passage du contre-amiral d’Entrecasteaux. A partir de ce point, le Derwent, qui jusque-là était large et bordé de plaines magnifiques, prend un aspect inégal et torrentueux.

La société d’Hobart-Town paraît se ressentir beaucoup de son origine. Le mélange des anciens convicts a exercé sur ses habitudes une fâcheuse influence, et les touristes anglais se plaignent de n’y rien retrouver du calme et de la politesse de la métropole. fin mouvement continu, du bruit, de l’intempérance, quelque chose de la rudesse, pour ne pas dire de la grossièreté des mœurs américaines, tels en sont les caractères. On y discute sans cesse, et avec une ardeur qui ne se lasse jamais, des questions ardues et irritantes. Il y a quelques années, c’était l’émancipation, aujourd’hui c’est la transportation.

En 1803, l’Angleterre jeta sur l’île ses premiers condamnés; l’année suivante, elle bâtit Hobart-Town. Peu à peu la geôle devint une ville; des employés du gouvernement, quelques colons y constituèrent une classe d’hommes libres, free men comme ils s’appellent avec un orgueil qui blesse profondément les autres. Les condamnés