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s’abreuvant de sang humain. Pour que ce coin de l’empire romain, qui semblait voué à la barbarie, devînt à son tour un foyer de civilisation, il a suffi de quelques siècles à l’histoire; mais dans cette période de temps la forme de la terre n’a été déterminée, les diverses parties n’en ont été connues qu’à la suite de longues études et de recherches réitérées. Des vérités qui nous semblent simples et faciles, parce que nous les contemplons du haut de la science que nos prédécesseurs nous ont acquise, ont passé par bien des vicissitudes avant de prévaloir, et elles ont eu de longues heures d’obscurcissement et d’oubli. Aujourd’hui que, dans leur pleine possession du globe, les sociétés civilisées ne se bornent plus à tourner vers les régions les plus lointaines un regard furtif et curieux, peut-être, avant d’étudier l’Angleterre transportant à ses pieds, sous un autre ciel, ses habitans, son industrie, sa fécondante activité, ne sera-t-il pas sans intérêt, sans opportunité même, de jeter en arrière un rapide coup d’œil sur les théories plus ou moins judicieuses qu’imagina l’antiquité relativement aux antipodes, et sur les systèmes naïfs ou bizarres que lui opposa l’ignorance du moyen âge.

Lorsque l’homme des sociétés primitives commença à détourner ses regards de lui-même pour les porter sur la création, dans son inexpérience de tout ce qui l’environnait, il s’abandonna aux vaines apparences, et imagina un monde fait aux proportions de sa petitesse. La Grèce, qui nous a transmis par la poésie ses premières idées cosmographiques, se représentait la terre comme un grand disque séparant deux voûtes hémisphériques; l’une, qu’illuminaient les astres, était le ciel; l’autre en dessous, froide et sombre, était le Tartare. Autour du disque terrestre courait le fleuve Océan, profond, rapide, tournant sur lui-même, d’où sortaient à l’orient le soleil, la lune et les étoiles, pour s’y replonger à l’occident. Au-delà de ces limites cessait la lumière, et c’est là que se trouvait le séjour des morts. De telles notions ne pouvaient suffire à des esprits observateurs. Bien des hypothèses furent émises : la terre était un cube, un cylindre, une montagne dont la base plongeait à l’infini dans la mer. Enfin un marin, en naviguant de Grèce en Égypte, remarqua que les étoiles du nord s’abaissaient et que de nouvelles étoiles apparaissaient dans le sud, et il s’écria : La terre est ronde!

Cette découverte, qui peut remonter à Thaïes ou à Pythagore, ouvrit le champ à de nouvelles conjectures. Si la terre est une sphère, quelle en est la circonférence? Qu’y a-t-il à l’autre bout de son diamètre? Et comme les sciences marchaient d’un pas plus lent que l’imagination, Platon crut à une sphère immense où la Méditerranée n’était qu’une baie imperceptible; puis Aristote, tout en la diminuant, lui donna deux fois encore son volume. Ces hommes de