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Don Ignacio lui dit à l’oreille quelques mots qui la firent se retourner vivement vers Mercedès.

— Petite, viens près de moi, viens ici ! — doña Mercedès se leva lentement, fit un pas vers sa grand’tante, et resta debout, l’œil fixe, droite comme une statue. doña Mariana lui prit la main : — Mon enfant, est-il vrai que tu sois folle ?

— Ma tante, ma chère tante, s’écria don Ignacio, pouvez-vous lui faire une pareille question ?

— Mais qui donc saura mieux qu’elle si elle est réellement folle ? Voyons, Mercedès ma belle, tu n’es pas folle, n’est-ce pas ?… Tu pleures, pauvre petite, tu as du chagrin ; on t’a fait de la peine… Oh ! ne te mets pas à genoux devant moi, tu n’as pas de pardon à me demander…

Mercedès ne s’était pas mise aux pieds de doña Mariana ; vivement émue, elle s’était affaissée et reposait sa belle tête sur les genoux de la vieille tante. Une parole affectueuse et tendre avait fait déborder ce cœur ulcéré et fier. Luisa, qui pleurait aussi, s’était rapprochée de son père ; elle lui prenait la main, essayant de calmer par ses caresses l’agitation qui se trahissait sur son visage contracté.

— Don Ignacio, mon neveu, réponds-moi, dit doña Mariana ; j’ai le droit de te parler comme un grand parent, car si je ne suis ton aînée que de sept ans, je suis la sœur de ta mère, et je t’ai tenu sur les fonts du baptême… Il y a quelque chose entre ta fille et toi !…

— Ma tante, si je suis votre neveu et votre filleul, je suis le père de mes filles, répliqua vivement don Ignacio. Brisons là.

— Voilà bien les hommes !… absolus, tout d’une pièce. Ils veulent que les pauvres femmes se taisent et souffrent. Eh bien ! je ne me tairai pas…

— Depuis trois mois, reprit don Ignacio avec exaltation, depuis trois mois, cette fille que j’aime plus que moi-même s’obstine à m’affliger par son mutisme… Pas un mot n’est sorti de sa bouche ; à toute heure du jour, elle fixe sur moi ses regards immobiles ; j’ai cru, j’ai voulu croire à de la folie !…

— Est-ce vrai, ma chère Mercedès ? demanda la tante en pressant la tête de la jeune fille.

— Mais non, continua don Ignacio, il paraît que c’était une vengeance !… Ah ! ces filles qui pleurent toujours ont parfois le cœur plus dur que les hommes auxquels on reproche souvent d’être emportés et insensibles.

— Mon père ! dit Mercedès en s’accrochant toujours aux genoux de la vieille tante, mon père !… Les sanglots l’empêchèrent de continuer.