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LA
LOCA CUERDA
RÉCIT DE LA CÔTE DU CHILI.



I.

Le Méridien était un beau navire, d’une marche supérieure, grand comme une corvette. Dans ses longs voyages, qui duraient plusieurs années, il traversait les mers les plus lointaines, allant des côtes de la Chine aux ports du Pérou et du Chili. Ce sont là de magnifiques promenades, et je n’en sais pas de plus propres à distraire les esprits mélancoliques. Effleurer la surface du globe et le parcourir en tous sens à la recherche de l’inconnu, poser partout le pied et ne prendre racine nulle part, alimenter ses regards d’horizons toujours nouveaux et agrandir sans cesse le champ de ses observations, n’est-ce pas jouir de la vie dans toute sa plénitude et réaliser, en partie du moins, ce double vœu des imaginations ardentes : voir et savoir ?

Il y avait à bord du Méridien un jeune médecin qui pensait ainsi. Après avoir achevé ses études à Paris, il était revenu près de ses parens dans une petite ville de la Basse-Normandie, où l’attendait la clientèle que devait lui laisser son père ; mais avant de s’enfouir dans les verts bocages du pays natal, il voulut connaître autrement que par les cartes géographiques les contrées mystérieuses dont les voyageurs font de séduisans récits. On blâma sa résolution, cela va sans dire. On lui reprocha de sacrifier à des instincts aventureux une existence tranquille et heureuse, comme s’il existait un bonheur absolu et indépendant de l’imagination de chacun de nous. Le