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reille conduite, et il le fut encore davantage de la modération, de la délicatesse même que Mazarin montra envers le fils du fameux président Broussel. Nul n’avait plus persécuté Mazarin que cet ardent et opiniâtre parlementaire. Au milieu de la fronde, il avait été nommé gouverneur de la Bastille, et il avait passé ce gouvernement à son fils Louvière. C’était celui-ci qui, sur l’ordre apporté par Mademoiselle, avait tiré le canon de la Bastille sur les troupes du roi à la fin du combat de Saint-Antoine. Mazarin victorieux laissa le père s’éteindre tranquillement dans la retraite et dans l’oubli, et il aurait bien pu, sans être accusé de violence, destituer au moins le jeune Broussel : il aima mieux tirer doucement de ses mains cette place importante, en lui en payant convenablement le prix, comme cela se faisait alors, afin de ne pas avoir l’air de flétrir un nom qui ne laissait pas d’être cher encore au parlement. On ne pouvait pas mieux établir dans tous les esprits que le passé était effacé, et que les fautes présentes seraient seules punies. C’est par une semblable politique qu’on termine les révolutions sur leur déclin, et qu’on fonde solidement son propre pouvoir en y ralliant tous les intérêts.


X.

Nous pouvons donc le dire en toute assurance : le 3 février 1653, les deux grandes forces de la fronde, l’aristocratie et le parlement, étaient rentrées sous l’obéissance du roi et reconnaissaient l’autorité de son ministre.

Pour la bourgeoisie, depuis longtemps elle était bien revenue de ses premières illusions. Une douloureuse expérience lui avait appris combien elle s’était trompée en se séparant de la royauté, sa fidèle amie depuis tant de siècles, qui jadis l’avait tirée des ignominies du servage féodal, qui avait encouragé et protégé ses pacifiques travaux, et l’avait peu à peu formée à l’art du commandement en lui remettant la police des villes et cette multitude de charges municipales qui lui avaient été autant d’écoles d’instruction politique et d’utiles degrés pour monter plus haut et participer enfin au gouvernement de l’état. La bourgeoisie et la royauté n’avaient pas un seul intérêt contraire; elles avaient grandi ensemble, et elles avaient encore grand besoin l’une de l’autre contre l’ennemi commun. Cet ennemi était l’aristocratie féodale, dont les privilèges héréditaires étaient à la bourgeoisie un joug honteux et à la royauté une chaîne insupportable. Ces privilèges, un peu affaiblis par le temps, subsistaient presque tout entiers au commencement du XVIIe siècle, et composaient un ordre de choses où certes le tiers-état n’était pas rien,