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Molé, fit vaquer pour lui l’abbaye de Sainte-Croix, de Bordeaux[1], et porta Edouard Molé, déjà trésorier de la Sainte-Chapelle, sur une liste de futurs évêques[2]. Enfin, comme le premier président portait un attachement particulier à son fils aîné Champlâtreux, chargé de soutenir et de continuer sa maison, Mazarin, trouvant déjà Champlâtreux conseiller au parlement, lui confia successivement les plus considérables intendances de justice, de police et de finances auprès des armées de Flandre, d’Allemagne et de Catalogne[3].

Quand vint la fronde, Matthieu Molé déploya la grandeur d’âme et la force de caractère à laquelle tout le monde a rendu hommage, et en même temps une habileté consommée, qui n’a pas été assez reconnue. Dans la journée des barricades, il fit voir à la populace soulevée le visage et le cœur d’un grand magistrat, et, au milieu des plus grands périls, une présence d’esprit et une sérénité intrépide que Retz peint à merveille, et qui lui font égaler avec raison le courage de Molé à celui de Condé. Il voulait sincèrement la réforme des abus, et servit souvent d’interprète assez altier à sa compagnie; il demeura néanmoins fidèle à la royauté, et lorsqu’en public il parlait le plus énergiquement à la reine, sous main il lui donnait les meilleurs conseils. Il contribua beaucoup à la paix de Ruel en 1649, mais il n’approuva pas l’arrestation violente des princes en 1650, et quand ils sortirent de prison en 1651 et que Mazarin quitta le royaume, il se serait fort bien accommodé d’un gouvernement nouveau, si ce gouvernement avait pu s’établir. Mais la fronde avait accru le mal au lieu d’y porter remède, et le premier président reconnut à la fin de 1651, comme Mme de Chevreuse et la Palatine, qu’un pouvoir fort était absolument nécessaire à la France; il se sépara de ses collègues, se rendit à Poitiers auprès de

  1. VIIIe carnet, page 20. — François Molé devint en effet abbé de Sainte-Croix de Bordeaux en 1646, et plus tard abbé de Saint-Paul à Verdun. Il ne poussa pas plus loin sa carrière ecclésiastique. Conseiller au parlement en 1650, il fut nommé maître des requêtes en 1657. On en a un très beau portrait, gravé par Nanteuil, de l’année 1649.
  2. Ibid., page 1. — Edouard Molé a été évêque de Bayeux, et il est mort en 1652, à l’âge de quarante-trois ans. On en conserve à Champlâtreux, dans la noble demeure des Molé, un assez bon portrait peint du temps. Le premier président a eu aussi un autre fils, plus jeune, qui s’appelait Matthieu Molé, fut chevalier de Malte, et devint plus tard chef d’escadre. Fronton, chancelier de l’université, qui a prononcé en latin l’éloge de Molé dans l’église de Sainte-Geneviève, dit avec raison que, tout homme de guerre qu’il est, le jeune chevalier de Malte peut très bien prendre pour modèle l’intrépide magistrat auquel il doit le jour.
  3. Voyez aux archives du ministère de la guerre les papiers manuscrits de Le Tellier, particulièrement le tome VIII, fol. 124, où se trouve la commission donnée à M. de Champlâtreux, le 4 mars 1647, auprès de l’armée de Catalogne, rappelant les services qu’il a déjà rendus dans l’intendance des armées d’Allemagne et de Flandre, sous les ordres du duc d’Enghien.