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grand besoin. Puis il sortit de sa retraite et reparut à Paris. Il lui fallait revenir de bien loin pour rentrer en grâce; il y réussit en sauvant les apparences, et en ménageant habilement la transition, comme on dirait aujourd’hui. Il fit sa paix avec le politique et débonnaire cardinal, monta dans son carrosse, en disant avec autant de raison que d’esprit : Tout arrive en France. Il s’arrangea pour faire entrer son fils Marsillac dans l’intimité du jeune roi, et, chose admirable, il obtint de Mazarin, en dédommagement des pertes qu’il avait éprouvées en lui faisant la guerre, une bonne pension de huit mille livres[1].


VII.

Si le temps nous permettait de parcourir ainsi successivement la liste de tous les grands seigneurs qui autrefois avaient mis la main dans la fronde, il nous serait aisé de faire voir que, le 3 février 1653, les plus ardents et les plus illustres, et ceux que nous avons cités, et bien d’autres, tels que le duc d’Elbeuf et ses enfans, le duc de Guise, le maréchal de Lamothe Houdancourt, presque tous enfin étaient rangés autour de Mazarin, et combattaient avec lui et pour lui, et cela par une seule raison, mais très suffisante : c’est que l’habile cardinal avait su leur faire comprendre où était leur intérêt véritable.

L’intérêt, l’intérêt, voilà, à bien peu d’exceptions près, le mobile unique de l’aristocratie dans la fronde, et La Rochefoucauld n’a fait qu’ériger en maxime et généraliser même avec excès ce qu’il avait vu pratiquer autour de lui. On peut juger par là si, comme on le répète sans la moindre connaissance des faits, la fronde est une grande cause généreuse à laquelle la fortune a manqué. Non, c’est tout simplement une coalition puissante d’intérêts particuliers, et il s’en faut tellement qu’elle soit une anticipation avortée de la révolution française, que si l’on veut à toute force y trouver un dessein général, c’est bien plutôt celui d’étouffer dans leur berceau les principes de cette révolution.

Que voulait en effet la France en 1789? En un seul mot, l’abolition définitive du régime féodal. La royauté avait devancé et guidé la nation dans cette longue et difficile entreprise. Henri IV avait fait les premiers pas décisifs; Richelieu avait continué l’œuvre d’Henri IV, et Mazarin celle de Richelieu. Tous les trois avaient eu naturellement pour adversaires les grands du royaume, intéressés à maintenir leurs antiques privilèges, leur haute et basse justice, les places fortes où ils trouvaient au besoin un asile, les régimens qu’ils levaient, sou-

  1. Bibliothèque impériale, papiers de Gaignières, n° 771, p. 567 : « Pension de huit mille livres au duc de La Rochefoucauld, le 11 juillet 1659. »