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des premiers à Compiègne auprès du roi à la tête du clergé de Paris, et il lui avait adressé une harangue hardie et artificieuse, dans le genre de celle de César dans l’affaire de Catilina, couvrant habilement la défaite de son parti, recommandant la modération au nom de la politique, rappelant à plusieurs reprises la conduite d’Henri IV avec les ligueurs, et de peur qu’on ne comprît pas assez qu’il entendait parler pour lui-même, citant les paroles pacifiques d’Henri IV à son grand-oncle le cardinal de Gondi. Il y avait même dans ce discours[1] de grands complimens pour la reine, comme s’il avait repris ses anciennes espérances. Après le retour du roi, il avait poussé l’audace jusqu’à se présenter au Louvre pour rendre, comme un sujet fidèle, ses hommages à leurs majestés. Le 1er décembre, il avait prêché avec éclat à Notre-Dame, et recommençait son train de vie de 1648, faisant de pieux sermons dans les intervalles de ses galans rendez-vous, le matin à l’église, le soir en bonne fortune, et renouant dans l’ombre la trame de ses vieilles intrigues. Mais Mazarin le connaissait : il était persuadé que Retz était incapable de se renfermer dans ses fonctions ecclésiastiques, incompatibles avec ses habitudes dissipées et déréglées, avec sa nature inquiète et remuante, et c’est par ses conseils qu’au moindre soupçon le roi le fit arrêter au Louvre même, le 19 décembre 1652.

Mazarin était trop avisé pour traiter ainsi La Rochefoucauld. Il savait à merveille que, séparé de Condé et de Mme de Longueville, qui faisaient toute son importance, La Rochefoucauld n’était plus à craindre, et qu’il n’était pas d’humeur à se faire le champion et le martyr d’un parti vaincu. La grave blessure que La Rochefoucauld avait reçue au combat de Saint-Antoine lui tourna pour ainsi dire en avantage. Atteint d’une balle qui lui traversa les deux joues et lui ôta momentanément la vue, il lui était impossible de continuer la guerre et de suivre l’armée. Il ne trahit donc pas Condé en n’acceptant point le commandement des troupes qui restaient à la fronde, commandement qui à son défaut fut offert au prince de Tarente. Il devait avant tout soigner sa blessure, et ce motif très réel couvrant sa lassitude et des dégoûts déjà anciens, il n’alla pas, comme Bouteville et Vauban, retrouver le prince en Flandre. D’autre part il ne réclama point l’amnistie, et on ne put pas ne pas le comprendre dans la déclaration royale lancée le 13 novembre contre Condé, le prince de Conti, Mme de Longueville et leurs principaux adhérens[2]. Mazarin se garda bien pourtant de l’inquiéter dans la retraite où il alla se faire oublier quelque temps et goûter le repos dont il avait

  1. Il nous a été conservé. — Relation contenant la suite et la conclusion de tout ce qui s’est passé au parlement, etc., p. 163.
  2. Relation, etc., p. 252.