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Nul ne le sait : le duc de Bouillon n’a pas rempli toute sa destinée, il est mort le 9 août 1652, il n’a pas joui de ces biens, de ces honneurs qu’il avait tant souhaités; mais avant de se fermer ses yeux les virent passer sur la tête de ses enfans. Turenne, particulièrement ménagé et caressé, fut fait à la mort de son frère gouverneur d’Auvergne, et la vicomte de Turenne érigée en principauté. Bientôt même il reçut le titre de ministre d’état. Mazarin alla plus loin : voulant combler l’illustre capitaine dont il connaissait depuis longtemps l’honnêteté et l’ambition, voulant en même temps s’attacher en sa personne tout le parti protestant par des actes décisifs, en établissant d’une manière éclatante que quiconque servirait bien serait fidèlement récompensé, sans distinction de religion, l’habile et politique cardinal fit le duc de La Force, protestant et beau-père de Turenne, maréchal de France, comme l’avait été son père. Aussi, le 3 février 1653, Turenne était-il au Louvre, à côté de Mazarin, y représentant tous les siens, et déjà occupé des préparatifs de la campagne qui devait s’ouvrir au printemps prochain dans les Pays-Bas, et où il devait commander l’armée française.

Mais si Mazarin avait pris soin de gagner successivement les chefs des importans et des frondeurs dans lesquels son œil exercé avait reconnu de sincères dispositions à une soumission loyale, il s’était bien gardé cette fois de se laisser séduire à de vaines apparences, et il ne s’était pas fait faute de frapper ou du moins d’écarter de Paris ceux qu’il désespérait d’acquérir. Il s’était prêté de bonne grâce à l’accommodement demandé par le duc d’Orléans : il n’avait pas voulu donner à la France et à l’Europe le spectacle de l’oncle du roi maltraité, et le contraindre peut-être à aller de nouveau chercher un asile à l’étranger; mais en le ménageant comme il convenait, il avait pris ses sûretés envers lui, et s’étant convaincu que trop de douceur ne ferait que l’enhardir à se mêler de nouvelles intrigues, il n’avait pas souffert qu’il restât à Paris, lorsque le roi y revint, de peur qu’en son palais du Luxembourg, entouré de conseils perfides, tout en prodiguant d’abord de grandes marques de déférence à la reine et au jeune roi, il n’entretint et ne ranimât dans l’occasion les espérances de la fronde. Ainsi le duc d’Orléans dut quitter Paris la veille du jour où le roi y rentra, et se retira d’abord à Limours, puis à Blois, refuge ordinaire de ses trahisons et de ses lâchetés, où, nullement persécuté, mais surveillé et contenu, il acheva dans l’indifférence publique le reste de sa triste carrière. Mademoiselle demeura aussi quelque temps en disgrâce à Saint-Fargeau et se consola peu à peu de la ruine de ses diverses prétentions avec sa grande fortune et sa petite cour. Le cardinal de Retz, faisant bonne mine à mauvais jeu, ou abusé par la feinte retraite de Mazarin, s’était rendu