Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fronde son frère Turenne, dont il disposait absolument, et qui était tout aussi ambitieux, tout aussi passionné pour la grandeur de leur famille, mais à sa manière, et selon la tournure de son caractère froid, réfléchi et profondément dissimulé. A la paix de Ruel, en 1649, le duc de Bouillon avait demandé[1] « son rétablissement dans Sedan, ai mieux n’aimoit la reine en faire faire présentement l’estimation à un prix certain; le rang promis et dû à sa maison; pour lui, le gouvernement d’Auvergne, et pour son frère le gouvernement de la Haute et Basse-Alsace, avec celui de Philipsbourg, et le commandement de toutes les armées d’Allemagne. » Mazarin avait fait alors la faute de ne pas contenter l’ambitieuse et puissante maison; de là en 1650 la conduite du duc de Bouillon en Guienne et celle de Turenne à Stenay et en Flandre. L’un et l’autre avaient bien compté que, pour prix de tant de services, la fronde victorieuse leur accorderait ce que leur avait refusé Mazarin. La fronde hésita; mais cette fois Mazarin n’hésita pas, et il traita sérieusement avec le duc. Ne voulant à aucun prix lui rendre Sedan, il accorda l’équivalent demandé, un grand domaine à Château-Thierry, plus riche encore que celui de Sedan, et, sans souveraineté effective, ce titre de prince, si cher à la vanité des Bouillon, que le chef de la famille ne devait pas seulement transmettre à ses enfans, mais qui devait s’étendre jusqu’à son frère Turenne. Mazarin acquit ainsi la seconde épée de France et la meilleure tête de la fronde. Le duc de Bouillon, ayant une fois pris son parti de servir le roi, le fit avec la même énergie qu’il avait déployée à Paris et à Bordeaux. Il ne quitta plus Mazarin, l’assista de ses conseils, et paya même plus d’une fois de sa personne, avec sa vigueur accoutumée et l’ardeur opiniâtre de son pays et de sa race. Lui-même, le soir du combat de Bleneau, il amena des renforts à Turenne, qui venait d’arrêter Condé. C’est encore lui, qui, le 2 juillet 1652, pour bien faire voir à Mazarin qu’il lui était acquis sans retour, se joignit au cardinal pour presser Turenne, contre toutes les règles de la guerre, de ne pas attendre les troupes de La Ferté-Senneterre. Un témoin véridique, et l’un des principaux acteurs de cette sanglante journée, Navailles[2] affirme même que le duc de Bouillon prit part à l’affaire, et qu’il était à l’attaque où périt Saint-Mégrin. Si Bouillon eût vécu, avec son ambition démesurée et sa capacité égale à son ambition, se serait-il toujours contenté du second rang, et serait-il demeuré le serviteur dévoué du cardinal?

  1. Mémoires de Madame de Motteville, t. III, p. 233, etc.
  2. Mémoires, p. 134. « Je me mis en bataille dans un fond où M, de Bouillon et M. Le marquis de Saint-Maigrin me joignirent... Notre infanterie avoit toujours marché... M. de Bouillon, sans considérer qu’elle étoit hors d’haleine, nous pressa d’attaquer les ennemis. »