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monde pour achever de tranquilliser l’impératrice. S’il cherche à lui inspirer de la confiance, il ne transige avec aucun précepte de la morale ; il a soin de la prémunir contre les dangers particuliers de sa position, et lui parle ainsi : « Les bons seuls sont attirés vers les bons ; les cœurs nobles seuls sont aptes à jouir d’une société d’élite. Qui le sait mieux que vous, madame, qui êtes condamnée à subir la présence d’improbes flatteurs, d’hypocrites épiant chaque mot, d’esclaves se courbant au moindre signe, et qui ne sentez pas comme tous ces êtres qui semblent vouloir faire douter qu’ils aient une âme ? Ah ! vous devez bien le comprendre, — aucune âme hypocrite n’est heureuse dans le voisinage d’une âme loyale qui a la force de la pénétrer. Chaque âme impure délivrée du corps doit donc fuir inévitablement les êtres lumineux, et tâcher, s’il est possible, de porter hors de leur vue ses mille défauts, qu’elle ne peut plus se cacher à elle-même… » — « S’il n’était pas écrit, poursuit-il, que personne ne verra le Seigneur sans être sanctifié, cela serait dans la nature des choses. Une âme impure ne peut avoir aucun rapport réel, aucune sympathie avec ce qui est pur. Une âme redoutant la lumière ne peut être attirée vers la source de la lumière ; la lumière doit être pour elle un feu dévorant. » Qu’entend-il par une âme impure ? C’est celle qui ne tend pas à se purifier, à se simplifier, à se perfectionner ; c’est l’égoïste, c’est celui qui sert deux maîtres. Lavater adjure l’impératrice de ne pas servir Dieu comme la servent ses courtisans. « Soyons remplis d’un amour pur, et nos efforts nous mèneront aux embrassemens des âmes pleines d’amour. Purifions-nous chaque jour davantage de tout égoïsme, et alors nous pourrons rendre paisiblement ce corps mortel à la terre. Nous pourrons partir aujourd’hui ou demain, n’importe ! Notre esprit montera avec la rapidité de l’éclair vers les sources de l’amour, et ira se joindre avec d’ineffables délices à tous ceux qui aiment. »

Si nos sentimens sont destinés à ne jamais périr, ils sont destinés par cela même à devenir plus vifs et plus profonds ; ils ne feront que se transformer merveilleusement. Comment cette transformation s’opérera-t-elle ? Lavater l’explique d’une façon plus ingénieuse qu’orthodoxe. « Le bon deviendra meilleur, le saint deviendra plus saint, rien que par la contemplation des esprits qui sont plus purs et plus saints que lui ; l’aimant sera plus aimant, mais aussi le méchant deviendra plus méchant par le commerce de ses semblables. Sur cette terre déjà, qu’y a-t-il de plus contagieux et de plus entraînant que la vertu et le vice, l’amour et la haine ? De l’autre côté de la rive, chaque perfection morale ou religieuse, chaque sensation immorale ou irréligieuse aura une force à laquelle on ne pourra plus résister. Ce qui me restera encore d’égoïsme et d’indifférence pour le règne de Dieu sera, si le sens de l’amour est pourtant dominant en moi, graduellement purifié par l’approche des esprits aimans ; mais Dieu ne se révélera pas tout à coup à notre âme dans toute sa splendeur et sa magnificence ; ce spectacle pourrait trop l’intimider. Il sera d’abord méconnaissable. C’est ainsi qu’il a toujours procédé ici-bas. Qui chérissait plus l’incognito que Jésus ? Qui a mieux réussi à s’en couvrir ? Il est venu sous la forme la plus humble, et jusqu’à sa mort l’adoré des cieux resta fidèle à la personnalité du Nazaréen. Même après sa résurrection, il ne se fait pas toujours connaître. Il apparaît à Marie sous l’habit d’un jardinier, et ce n’est qu’après lui avoir longtemps parlé qu’il se dé-