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populations roumaines pour constituer leur nationalité par l’unité politique méritent jusqu’à présent les applaudissemens de l’Europe libérale. L’habileté avec laquelle les Moldo-Valaques ont réalisé l’unité de Fhospodarat par la double élection du colonel Couza triomphera, nous l’espérons, au sein de la conférence des objections et des résistances de la Porte ; mais cet incident, où se sont manifestées avec un entraînement si généreux les aspirations des Roumains, n’indique-t-il pas les difficultés que peut rencontrer dans la pratique des institutions qui lui ont été données un peuple encore novice dans la vie politique ? Si, au milieu des terribles distractions d’une grande guerre occidentale, des difficultés auxquelles il faut bien s’attendre s’élevaient dans le gouvernement intérieur des principautés, si les Roumains avaient à combattre les prétentions et les empiétemens de la Porte, la France serait bien loin et la Russie bien près, et le tsar reprendrait inévitablement ses vieilles habitudes de protection. Pour que l’établissement roumain s’affermisse et échappe aux tutelles étrangères, il est donc très désirable que la paix générale ne soit point troublée.

L’Angleterre a, comme on sait, elle aussi dans les Iles-Ioniennes sa question des nationalités en miniature. Les Ioniens, excités par leur clergé, vouent à tout prix s’absorber dans le royaume de Grèce, et préfèrent cette incorporation aux institutions les plus libérales dont l’Angleterre, représentée par un de ses hommes d’état les plus illustres, voulait les doter. Vainement M, Gladstone, pour se faire le mentor de ce petit peuple, a-t-il consenti à déroger à sa grande situation politique et a-t-il accepté des fonctions bien modestes pour un homme de sa valeur ; les Ioniens n’ont pas plus tenu compte de l’honneur qu’on leur faisait que des avantages qui leur étaient offerts ; le commentateur passionné d’Homère y a perdu son grec, sinon son éloquence, et n’a point réussi à persuader les rebelles descendans des sujets d’Ulysse. M. Gladstone a fait de grands sacrifices à la cause des Ioniens, car, pour eux, il est allé jusqu’à encourir le ridicule. Arrivé à Corfou en qualité de lord haut-commissaire extraordinaire, pour accomplir sa mission il a consenti à devenir lord haut-commissaire ordinaire après la retraite de sir John Young. Ces fonctions l’obligeaient à se démettre momentanément de son siège au parlement : il les a bientôt quittées pour les remettre à son successeur, sir Henry Storks, et s’est fait réélire par l’université d’Oxford ; mais il tenait à tenter un dernier effort auprès de ses maladroits protégés, il lui fallait encore pour cela, une position officielle dans l’administration des Iles-Ioniennes et une position qui ne l’obligeât point à donner encore une fois sa démission de membre de la chambre des communes et à troubler l’université d’Oxford de l’ennui d’une nouvelle élection. Il n’a pas trouvé d’autre issue, pour échapper à ce double embarras, que de se faire nommer par sir Henry Storks vice-haut-commissaire. Il a donc fini son séjour à Corfou après avoir descendu trois degrés dans les fonctions qu’il était venu y exercer. Telle a été la fin des mésaventures de M. Gladstone, qui n’ôtent rien pourtant au mérite de ses bonnes intentions et de ses patiens efforts, et qui ne rendront pas les Ioniens plus intéressans aux yeux de l’Europe. — Puisque ces petits incidens réussissent encore, par un certain côté plaisant, à se faire remarquer au milieu des graves préoccupations qui agitent le monde politique, nous n’avons pas le droit de passer sous silence