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d’appréciations et de conjectures diverses ; mais, quelles qu’en soient les conséquences, elle fait incontestablement honneur à Pie IX. Le pape n’a pas voulu, dans un moment où les relations de la France et de l’Autriche sont si tendues, que son gouvernement fût la cause ou le prétexte et que ses états fussent le champ de bataille d’une lutte entre deux puissances catholiques. En prenant une telle décision, le pape a non-seulement agi en souverain habile, mais en prince honnête ; il n’a pas fait seulement de la politique sage, il a rempli un devoir en quelque sorte religieux. Nous espérons que cette conduite lui portera bonheur. « Son gouvernement est assez fort, suivant les paroles du cardinal Antonelli, pour suffire à sa propre sécurité et pour maintenir la paix dans ses états. » Nous souhaitons qu’il en soit ainsi, et nous désirons que le pape, délivré de la protection des troupes françaises et autrichiennes, se retrouvant en face de ses sujets affranchi de la tutelle au moins apparente et inévitablement blessante d’une double intervention étrangère, cherche dans les réformes attendues par son peuple les élémens les mieux assurés et les plus durables de sa force. Cependant, si nous avions le malheur de nous tromper dans cette espérance, si après le départ des Autrichiens et des Français des difficultés devaient s’élever de nouveau entre le gouvernement, pontifical et les populations romaines, nous regarderions encore comme salutaire l’expérience qui va s’ouvrir. Après les questions qui ont été aujourd’hui soulevées, l’opinion de l’Europe a besoin d’être édifiée encore une fois sur la vertu, la vitalité et la légitimité du gouvernement temporel du pape. De deux choses l’une : ou les embarras du gouvernement pontifical naîtront de ses défauts mêmes, qu’il s’obstinera à ne point vouloir corriger, ou bien, comme cela est arrivé déjà en 1848, les passions anarchiques déjoueront les généreux desseins du saint-père. Dans le premier cas, il faudra que l’Europe avise définitivement à l’organisation politique des provinces qui forment le patrimoine temporel de saint Pierre ; dans le second cas, les libéraux européens seront bien contraints d’ajourner encore leurs espérances dans la régénération politique de l’Italie. Nous le répétons, quelle que puisse être l’issue de cette expérience, la conscience de l’Europe, autant que l’intérêt de la paix du monde, exige qu’elle soit tentée librement, naturellement, entre le pape et les populations romaines, sans être entravée, dénaturée, compromise.par des interventions étrangères.

Mais ces éventualités, si graves qu’elles puissent être un jour, n’appartiennent point à la phase actuelle de la question italienne. L’on n’a point à les apprécier pour mesurer l’influence que peut avoir l’évacuation des États-Romains sur la question de paix ou de guerre qui se débat aujourd’hui. Cette évacuation est, suivant nous, la solution de la plus grave des difficultés diplomatiques que présentait la situation de l’Italie. Quelques personnes se sont étonnées de l’importance qu’on y attachait dans le parlement anglais. Ce qui nous surprend, nous, c’est cet étonnement même. Nous avons assez de confiance dans nos contemporains pour croire que, dans l’époque où nous vivons, les motifs et les prétextes de guerre ne puissent être puisés dans le caprice ou l’ambition d’aucun gouvernement, pour penser qu’ils ne peuvent être cherchés que dans les irrégularités exceptionnelles qui constituent des infractions aux traités et des déviations au droit public et à la lé-