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sollicitude nécessaires à l’artiste; il les traite avec brusquerie, et ne se donne pas le temps de connaître familièrement ces-enfans de son esprit. Il produit comme on agiote, sans réfléchir, avec précipitation et en se remettant aux chances du hasard. Faut-il s’étonner si la conséquence de ce jeu, au théâtre comme à la Bourse, est quelquefois une spéculation heureuse, et le plus souvent une belle et bonne faillite? Sans doute M. Barrière se relève heureusement de ses faillites; mais voilà bien des fois qu’on l’exécute à la bourse du Vaudeville et du Gymnase.

Cette mobilité d’intentions bonnes et mauvaises, cette macédoine de qualités et de défauts, cette alliance extraordinaire d’efforts sérieux et de négligences, l’inconsistance inexplicable de cette nature bien douée, rendent extrêmement difficile la tâche du critique. Le plus dur jugement peut-être que je puisse porter sur lui est de déclarer qu’après avoir cherché longtemps comment je devais m’y prendre pour expliquer son talent au lecteur, j’ai dû renoncer à mettre de l’unité dans mes impressions. Ses œuvres me frappent par des contrastes inattendus dont je ne puis parvenir à me rendre compte; ses qualités ne m’expliquent pas ses défauts, et ses défauts ne me rendent pas compte de ses qualités. Comment mes impressions auraient-elles de l’unité alors que l’unité manque entièrement au talent qui me les a données? Ordinairement le talent consiste dans un mélange de qualités et de défauts fondus comme une sorte de métal de Corinthe au feu de l’âme et de l’intelligence. Le critique qui examine ce métal surprend immédiatement la nature du mélange et la valeur des métaux qui le composent; il pourrait dire le degré de chaleur qui a opéré la fusion, et par conséquent si cette fusion est complète ou incomplète; il retrouve la forme du moule dans la forme que garde le métal. Ici rien de semblable. Tous les élémens nécessaires à cette fusion existent, mais elle-même n’est pas accomplie. Je vois bien la fournaise, mais elle est froide; les métaux, mais ils sont à l’état de minerai. Le combustible surtout ne manque pas, mais il attend qu’on l’emploie. Je vois bien les élémens et les instrumens essentiels du travail juxtaposés pêle-mêle, comme dans le désordre d’un atelier; mais quelle sera la valeur du travail, et quel est le mérite véritable de l’ouvrier? Je n’en puis rien dire. Tout s’enchaîne et se relie généralement dans l’œuvre d’un artiste ou d’un écrivain : le tempérament auquel il obéit, le but moral ou littéraire qu’il poursuit, les procédés de travail qu’il emploie, ses aspirations et ses méthodes. L’œuvre et l’artiste, la nature et l’art, la conception et l’exécution sont liés ensemble et s’expliquent pour ainsi dire simultanément. Bien habile sera celui qui se vantera d’avoir surpris l’unité du talent de M. Barrière! Je ne