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qu’il ne les ouvre plus à deux battans devant la première rapsodie qui passe. S’il pense que le vieux répertoire soit le seul digne de lui, qu’a-t-il besoin d’accueillir des vaudevilles comme Feu Lionel et des comédies comme le Luxe? Il y a dans une telle conduite une erreur de jugement qui frappe à bon droit tous les esprits. Et maintenant que nous avons constaté la présente inertie et l’insignifiance, momentanée seulement, nous l’espérons, du Théâtre-Français, retournons là où nous trouvons encore un peu de vie et de chaleur, quelques efforts dignes d’intérêt, un semblant de passion, un reste de verve comique.

C’est par devoir beaucoup plus que par plaisir que nous venons parler ici de M. Théodore Barrière. Il serait impossible de tracer une esquisse complète du théâtre contemporain sans s’arrêter un instant devant cette physionomie, et cependant je ne sais pas d’auteur dramatique qui rende aussi difficile la tâche du critique. Connaissez-vous ces jours mêlés de pluie, de soleil, de neige et de vent, si pleins de contrastes subits et de caprices irritans, qu’on ne saurait dire s’il fait beau ou mauvais temps? Connaissez-vous ces visages dont l’inquiétante mobilité vous attire et vous éloigne, qu’on ne surprend jamais au repos, et dont on ne peut saisir le trait caractéristique? Tel est le talent de M. Théodore Barrière, violent, affecté, inégal, heurté, naïf et artificiel, sincère et retors, exalté et prosaïque, il autorise les jugemens les plus contradictoires, rebute la sympathie qu’il appelle, fatigue l’attention qu’il commande, rend excusable la sévérité à outrance et difficile la justice. Il connaît à fond toutes les ficelles de la scène, et il ignore les premières lois de la composition. On ne sait avec lui si on a affaire à un mélodramaturge, à un auteur comique ou à un vaudevilliste. Et sa fortune dramatique ressemble à son talent : il marche de chute en succès et de succès en chute; il tombe, se relève, retombe encore. Il tente les genres les plus divers, le drame passionné à la manière de M. Dumas fils, la comédie sentimentale, la comédie de mœurs. Il a fait des pamphlets dramatiques qui donnaient à croire qu’il aspirait à la gloire d’un Aristophane du boulevard. Le lendemain, il écrivait des comédies maladroites qui témoignaient d’une étude aussi patiente que stérile du dialogue et du style de Molière. Sa carrière dramatique est pleine d’efforts honorables et de tentatives variées pour atteindre à un genre nouveau qui se dérobe à ses poursuites, et pleine en même temps-de ces précipitations et de ces négligences qu’on ne pardonne aisément qu’aux hommes qui ne se prennent pas au sérieux. Nature évidemment spontanée et mobile, la patience et la volonté lui font défaut. Il exécute ses projets, non pas avec énergie, mais avec fièvre. Il n’a pas pour ses idées la tendresse et la