Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous fallait nous occuper également de toutes ces publications? La critique est venue au monde précisément pour séparer le froment de l’ivraie, les bonnes œuvres des mauvaises, car qui dit critique dit jugement et discernement, et par conséquent, si le critique est condamné à tout lire et à tout voir, il doit bien se garder de parler indifféremment de ce qu’il a vu ou de ce qu’il a lu. Vous êtes-vous jamais trouvé pour quelques heures dans une société mélangée et vulgaire où pleuvaient les coq-à-l’âne, les plaisanteries saugrenues, les inepties absurdes des absurdes diseurs de rien de M. Henri Monnier, et ne vous est-il pas arrivé de faire effort sur vous-même pour effacer de votre mémoire le souvenir de ces insignifiantes conversations? Le critique aussi doit tout écouter, à la condition d’oublier tout ce qui est insignifiant et vulgaire. Il ne doit pas plus désirer entretenir le public d’une œuvre insignifiante qu’il ne voudrait rappeler devant des hommes sensés le souvenir des conversations ridicules qu’il a eu le malheur d’écouter. Le droit et le devoir du critique est de choisir; il exerce ce droit et ce devoir sur le roman, sur la poésie, sur la philosophie, sur l’histoire, et il ne pourrait pas l’exercer sur le théâtre! Ce roman est exécrable, il le jette au feu; ce gros livre de morale balbutie dans sa lourde prose tous les éternels lieux-communs qui courent les écoles depuis que l’homme a commencé à penser, il le dépose dans le panier aux inutilités; ce prétendu livre d’histoire reflète les brillans événemens du passé comme un miroir d’auberge reflète votre image, il s’en détourne avec dégoût. Cependant toutes ces mauvaises œuvres lui ont fait la politesse de venir le trouver à domicile, et une méchante production dramatique aurait droit à plus d’indulgence, parce qu’il a fallu au contraire aller la chercher dans un brillant théâtre, parce qu’elle est exécutée devant une assemblée nombreuse, par des mimes habiles, au milieu des féeries artificielles du décorateur! Est-ce que par hasard la critique devrait payer un léger tribut pour les feux du lustre et les dorures des loges? Non, l’oubli et le silence qui enveloppent le mauvais roman, le mauvais poème, le mauvais livre d’histoire, doivent également envelopper les mauvaises productions dramatiques, du moment que la critique ne considère dans le théâtre que les intérêts de la littérature.

Nous avons cependant voulu faire acte de bonne volonté. Aucune des productions nouvelles ne se recommandant par un mérite quelconque (jamais hiver n’a été plus stérile), nous avons eu un instant la pensée de jeter un coup d’œil sur la littérature dramatique des dernières années, et d’exposer en même temps la situation du théâtre moderne. Hélas! il s’est trouvé que nous avions, sans nous en douter, épuisé la question il y a un peu plus d’un an déjà, en parlant de