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més depuis les derniers troubles, et Broussel donna sa démission de prévôt des marchands. Le 29, les six corps de marchands allèrent supplier le roi de donner la paix à son peuple. L’un de ces députés[1], «les larmes aux yeux et courbé jusqu’à terre, pressa leurs majestés de retourner à Paris en des termes que la véhémence de son affection ne rendit pas moins agréables et puissans que s’ils avoient été plus étudiés, puisqu’ils tirèrent aussi des larmes à l’assemblée. Deux autres députés parlèrent ensuite, dont le dernier représenta la misère des pauvres malades de l’Hôtel-Dieu de Paris, qu’il dit se monter à trois mille, lesquels on seroit obligé d’abandonner, si on ne mettoit bientôt fin à cette guerre, qui avoit fait perdre à cet hôpital la plus grande partie de son revenu. Et ces bons bourgeois, qui faisoient paroître plus de cœur que de langue, s’exprimèrent néanmoins si heureusement que leurs majestés en furent beaucoup touchées. » Les colonels et les officiers de la milice bourgeoise allèrent aussi protester de leur dévouement. Le jeune Louis XIV recevait toutes ces députations avec ce grand air qui lui était naturel, ces grâces et cette majesté précoce qui donnaient du charme et de l’autorité à toutes ses paroles. Inspiré par sa mère, qu’inspirait Mazarin, il répondait qu’il était impatient de revoir sa bonne ville de Paris, mais qu’il n’y voulait rencontrer que de fidèles sujets et non des gens qui se laissaient gouverner par ses ennemis et qui souffraient le joug de l’étranger. En revenant à Paris, les députés racontaient ce que le roi leur avait dit; on se rassemblait dans les différens quartiers pour aviser aux moyens de surmonter les obstacles qui s’opposaient encore au vœu général; on faisait choix de couleurs pour se reconnaître; le papier était le signe des amis de la paix, comme autrefois la paille l’avait été des amis de la fronde. Poussés et conduits par des chefs hardis qui s’entendaient ouvertement avec la cour, les bourgeois s’emparèrent des portes de la ville. Enfin le 21 octobre le jeune roi et sa mère Anne d’Autriche entrèrent dans Paris avec un cortège militaire imposant et aux joyeuses acclamations du peuple. Le lendemain, le)roi tint un lit de justice où furent convoqués tous les membres de l’un et de l’autre parlement, excepté quelques membres par trop compromis. L’amnistie promulguée le 26 août fut solennellement enregistrée. Il n’y eut plus qu’un seul parlement, une seule justice. Le maréchal de L’Hôpital reprit le gouvernement de Paris; les anciens échevins et prévôts des marchands revinrent à l’Hôtel de Ville, et tout rentra peu à peu dans l’ordre accoutumé.


VICTOR COUSIN.

  1. Gazette, n° 119, p. 946.