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mort. » Je l’assurai qu’ils étoient en meilleur état qu’il ne croyoit, que les chirurgiens ne les croyoient pas blessés dangereusement, et que tout présentement je venois de savoir des nouvelles de Clinchamp, qu’il n’étoit en aucun danger. Cela le réjouit un peu, il étoit tout à fait affligé. Lorsqu’il entra, il se jeta sur un siège; il pleuroit, et me disoit : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Et Mademoiselle ajoute : « Après cela, qu’on dise qu’il n’aime rien! Pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ses amis et pour ce qu’il aimoit. » Noble et sincère témoignage que l’histoire doit recueillir et opposer à des calomnies honteuses et intéressées, démenties par toute la conduite de Condé dans cette négociation même dont nous avons donné les principaux articles, et dans celle qu’il entreprit en 1659 pour son retour, où il recommande constamment à ses agens de sacrifier ses intérêts à ceux de ses amis et de la France[1].

Quelques jours après ce terrible combat, Condé revit le duc d’Orléans, «qui l’embrassa d’une mine aussi gaie que s’il ne lui eût manqué en rien[2]. » Condé ne lui adressa pas le moindre reproche par respect pour sa fille. Il ne se conduisit pas tout à fait de même avec Mme de Châtillon. Elle lui avait fait écrire un billet pour l’engager à venir. Elle montra ce billet à Mademoiselle, disant : «Il verra au moins par là l’inquiétude où l’on est pour lui. » Mais Condé était désabusé, et quand il rencontra celle qui l’avait perdu, « il lui fit les plus terribles yeux du monde, lui marquant par sa mine qu’il la méprisoit. » Heureux si bientôt après le petit-neveu de Henri IV n’eut pas de nouveau prêté l’oreille au chant de la sirène et repris d’indignes fers!


V.

Comment retracer les tristes scènes qui, après le combat de Saint-Antoine et pendant le reste du mois de juillet 1652, se passèrent à Paris? C’est ici qu’il faut se donner le spectacle de l’agonie et des suprêmes convulsions d’un parti vaincu, se débattant en vain pour échapper à son sort, et cherchant son salut dans des excès qui ne font que précipiter sa perte.

Condé, à peine rentré dans Paris, tint conseil avec ce qu’il lui restait d’amis sur l’état de leurs communes affaires. Les propositions d’accommodement qu’on avait précédemment adressées à Mazarin n’ayant pas eu de suites, on ne vit d’autre parti à prendre que de se lier plus étroitement que jamais avec l’Espagne, et, en atten-

  1. Voyez les Mémoires de Lenet, édition de M. Champollion, p. 627 : Instruction pour le sieur Caillet allant en Espagne.
  2. Mademoiselle, Mémoires, p. 148.