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et Retz à La Rochefoucauld. De toutes parts des intrigues se croisant en sens contraire : mines et contre-mines, luttes intestines, inimitiés sourdes et violentes au sein des alliances les plus solennelles; le bien public compté pour rien; le parlement et le peuple servant d’instrumens et de jouets à l’ambition de quelques grands seigneurs; pas la moindre foi entre les chefs, tous se trahissant à l’envi. Une trahison plus éclatante et plus dangereuse que toutes les autres vint mettre encore plus à nu l’état misérable des affaires de la fronde.

Charles IV, duc de Lorraine, qui avait signé par la main de sa sœur, en janvier 1652, un traité avec le duc d’Orléans et Condé, après s’être fait longtemps attendre, avait enfin paru avec ses vieux régimens, moitié lorrains, moitié allemands, et en concertant ses mouvemens avec ceux de la division française du comte de Tavannes et de la division étrangère du comte de Clinchamp, il aurait pu aisément forcer l’armée royale, inférieure en nombre, à reculer et à regagner les bords de la Loire. Malheureusement les troupes de la fronde avaient ainsi trois chefs s’entendant très médiocrement, tandis que depuis l’affaire de Bleneau Turenne, bien plus en faveur auprès de la reine et de Mazarin, commandait à peu près seul, et avait dans sa main une armée peu nombreuse, il est vrai, mais unie sous des généraux dociles et intelligens. Il avait manœuvré avec habileté pour tenir séparés le plus possible Tavannes et Clinchamp; plus fort que chacun d’eux, il était parvenu à les pousser toujours devant lui, et en laissant à sa gauche Orléans, qu’occupait Mademoiselle, il s’était avancé vers Paris, et avait mis le siège devant Étampes. A l’approche du duc de Lorraine, craignant d’être enveloppé par ses trois adversaires, il avait levé le siège commencé, et sans donner le temps à Charles IV de faire sa jonction avec Clinchamp et Tavannes, il s’était porté à sa rencontre pour le battre séparément. Le duc était campé à Villeneuve-Saint-George. Il avait une bonne position qu’il venait de fortifier, cinq mille hommes de cavalerie, trois mille d’infanterie, avec une artillerie bien servie, placée sur une hauteur[1]. Il était d’une bravoure éprouvée, et savait fort bien la guerre; il avait même autrefois vaincu une armée française à Tudelingen, Il pouvait donc combattre Turenne avec avantage, ou du moins le contenir, pendant que Tavannes et Clinchamp, sortis d’Étampes, tomberaient sur ses derrières. Mais Charles IV, de faute en faute ayant perdu ses états, se trouvait depuis longtemps réduit au rôle d’aventurier, de condottiere ; il n’avait plus d’autre fortune que ses troupes: aussi les ménageait-il avec le plus grand soin. Il s’offrait et se vendait à peu

  1. Mémoires du duc d’York, livre Ier.