indignes d’un galant homme, et qui nous révoltent encore, au bout de deux siècles, comme elles ont fait les contemporains.
Mme de Châtillon ne se contenta pas d’arracher l’inconstant et léger duc de Nemours à sa nouvelle amie absente; elle exigea qu’il se tournât contre elle et lui en fît un public et outrageant sacrifice. Ce n’étaient encore là que les représailles de la vanité féminine : l’ambitieuse duchesse alla plus loin : elle entreprit de ruiner Mme de Longueville dans l’esprit de son frère. Pour cela, elle s’appliqua à la décrier de toute manière auprès de lui, et tâcha même de lui persuader que sa sœur ne lui était pas aussi attachée qu’elle le faisait paraître, qu’elle avait promis au duc de Nemours de le servir à ses dépens, et qu’elle en ferait autant pour un autre, si une passion semblable la prenait[1] : calomnie aussi absurde qu’odieuse, car Mme de Longueville n’avait pas songé le moins du monde à enlever le duc de Nemours à Condé, mais à Mme de Châtillon, précisément pour l’engager davantage dans les intérêts de Condé, tels qu’elle les entendait.
La politique de Mme de Longueville était fort simple, et c’était la vraie, la fronde une fois admise. Certes il eût bien mieux valu et pour Mme de Longueville et pour Condé et pour la France ne pas entrer dans cette voie fatale où la grandeur nationale fut arrêtée pendant dix années et où la maison de Condé pensa périr; mais après avoir embrassé ce funeste parti, il ne restait plus à un esprit conséquent et ferme qu’à en poursuivre résolument le triomphe. Or ce triomphe aux yeux de Mme de Longueville était dans le renversement de Mazarin, condition nécessaire de la domination de Condé. Voilà le but que lui avait montré La Rochefoucauld en l’engageant dans la fronde au commencement de 1648, et elle ne l’avait jamais perdu de vue. C’est pour l’atteindre qu’elle s’était jetée dans la guerre civile, et qu’elle avait fini par y entraîner son frère; que, vaincue à Paris en 1649, elle avait tenté en 1650 de soulever la Normandie; qu’elle avait risqué sa vie, bravé l’exil, fait alliance avec l’étranger et maintenu à Stenay le drapeau des princes. En 1651, elle avait été d’avis de reprendre les armes, et maintenant elle pensait qu’il ne fallait pas les quitter, et qu’au lieu de se perdre en négociations inutiles avec le rusé et habile cardinal, c’était sur son épée seule que Condé devait compter. Elle le savait incapable de se tirer à son avantage des intrigues qui l’environnaient, et elle le poussait sur les champs de bataille. Elle était ouvertement du parti de la guerre, et par là elle était d’intelligence avec tous les instincts de Condé. Elle avait toujours eu sur lui un assez grand empire, parce qu’il lui savait un cœur de la trempe du sien, et si l’amour ne l’eût
- ↑ Mémoires de La Rochefoucauld, édition de 1662, p. 198.