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après la mort de leur commun maître, la subite élévation d’un collègue, qui même avait commencé par être un peu son protégé[1]. Dès 1643, la vanité l’avait détourné des grandes voies de l’ambition, et il s’était jeté dans des intrigues très compliquées. La Rochefoucauld[2] insinue qu’au fond Chavigny poursuivait alors le même but que Retz, et aspirait aussi à gouverner le duc d’Orléans. Il demandait avant tout un grand conseil, semblable à celui qu’il avait poussé Louis XIII à imposer à la régente, bien persuadé qu’avec ses liaisons et son crédit il ne pouvait manquer de faire partie d’un tel conseil, et qu’une fois là sa capacité ferait le reste. À ce point de vue, l’essentiel pour lui était d’arrêter les sourdes menées de Retz, toujours puissant dans le parlement et dans l’opinion, et qui le devenait de jour en jour davantage auprès du duc d’Orléans. Chavigny avait donc écrit à Condé que, s’il tardait un jour à se rendre à Paris, ses affaires étaient perdues sans ressource. Le duc d’Orléans, conduit par Retz, était tout près de s’accommoder avec la cour. Les partisans de Mazarin levaient partout la tête. Le parlement était à bout. Le peuple, n’ayant plus là son idole, le duc de Beaufort, pour le ranimer sans cesse, commençait à s’apaiser, et il était fort partagé. La bourgeoisie presque entière demandait le roi et la paix. Paris pouvait d’un moment à l’autre échapper à la fronde, et quelques avantages de plus du côté de la Loire étaient peu de chose devant la crainte d’un pareil désastre. L’avis de Chavigny entraîna Condé. Lui aussi il s’imagina qu’en arrivant à Paris le front ceint de la merveilleuse auréole que lui faisaient et cette course extraordinaire à travers la France et ses derniers exploits, il ressaisirait son ascendant sur le duc d’Orléans, déjouerait les intrigues de Retz, et, en ralliant tout ce qui restait de partisans accrédités à la fronde autour de sa propre gloire, il fonderait un grand gouvernement capable de se soutenir devant celui de la reine. Mais c’étaient là des espérances plus brillantes que solides. Le meilleur moyen de s’assurer de la fidélité du duc d’Orléans, de se mettre à l’abri de ses trahisons et de celles de son digne conseiller, c’était d’être le plus fort et le maître des événemens. Paris serait toujours le prix du vainqueur. On y pouvait envoyer des hommes mille fois plus en état que Condé de tenir tête au dangereux cardinal, La Rochefoucauld par exemple et le duc de Nemours, qui, réunis au duc de Rohan, à Chavigny et au président Viole, tout dévoué à Condé, pouvaient au moins lui garder le duc d’Orléans et Paris jusqu’à la fin de la campagne. Le comte de Tavannes, qu’il avait choisi pour le remplacer, était sans doute un excellent officier, l’un de ces vaillans

  1. Mémoires du jeune Brienne, gendre de Chavigny, publiés par M. Barrière, t. Ier, p. 288, etc.
  2. Mémoires de La Rochefoucauld, dans la collection de Petitot, t. LII, p. 145.