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rés. Les amis de Condé le savaient si bien, qu’un jour l’un d’eux, frondeur intrépide et tout aussi résolu que Retz, le comte de Fiesque proposa de s’en défaire[1]. Voilà l’homme qui, sous Monsieur, en 1652, tenait les clés de Paris.

Cependant Condé était depuis plusieurs mois en Guienne, occupé à fortifier et à étendre l’insurrection à la tête de laquelle il était venu se mettre, et à repousser le plus loin possible dans le midi l’armée royale, commandée par l’habile et expérimenté comte d’Harcourt. Au milieu de succès assez mêlés, il apprit de divers côtés le mauvais tour que prenaient les affaires de la fronde dans le cœur du royaume, les intrigues de Retz à Paris et le fâcheux état de l’armée sur les bords de la Loire.

En recevant ces nouvelles à Bordeaux au mois de mars 1652, Condé vit nettement le double péril qui le menaçait, et sur-le-champ il y lit face à sa manière. Au lieu d’attendre les événemens qui allaient se passer au loin, il se décida à les prévenir, et prit une résolution extraordinaire, assez semblable à ses grandes manœuvres de guerre, qui au premier coup d’œil paraît extravagante, mais que la raison la plus sévère justifie, et où la témérité même n’est qu’une forte prudence. Il forma le dessein de s’échapper de Bordeaux, de traverser les lignes du comte d’Harcourt, de faire comme il pourrait les cent cinquante lieues qui le séparaient de la Loire et de Paris, d’y paraître tout à coup, et de se mettre lui-même à la tête de ses affaires.

Il laissait derrière lui en Guienne des forces imposantes qui permettaient d’y attendre avec sécurité les succès qu’il allait chercher. En s’emparant d’Agen, de Bergerac, de Périgueux, de Cognac, et même un moment de Saintes, et en poussant ses conquêtes dans la Haute-Guienne, du côté de Mont-de-Marsan, de Dax et de Pau, il avait fait de Bordeaux la capitale d’un petit royaume riche et populeux, entouré de tous côtés d’une ceinture de places fortes, communiquant avec la mer par la Gironde, et admirablement placé pour attaquer et pour se défendre. Ce royaume, comme adossé à l’Espagne, en pouvait recevoir de continuels secours par Santander et par Saint-Sébastien, et une flotte espagnole devait s’avancer vers la tour de Cordouan, amenant des subsides et des troupes, tandis que la flotte du comte du Dognon, partie des îles de Ré et d’Oleron, venant la rejoindre, pouvait aisément contenir et même battre la flotte royale, qui se formait à Brouage sous le duc de Vendôme. En 1650, pendant la prison des princes, Bordeaux s’était défendue plus de six mois contre une armée considérable où la reine avait con-

  1. Mémoires de Lenet, édit. de M. Aimé Champollion, partie inédite, p. 555.