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que la transformation définitive des sucreries coloniales se prépare, principalement sous l’influence active, incessante de nos ingénieurs manufacturiers, puissamment secondés par de nombreux et habiles ingénieurs mécaniciens sortis de nos grandes écoles.


III.

Des changemens radicaux n’ont pu s’introduire dans les sucreries coloniales qu’en surmontant de redoutables obstacles. Un des premiers et des principaux novateurs est mort à la peine dans cette lutte suprême entre les anciennes routines et les intérêts froissés par la nouvelle organisation. En 1835, M. Vincent, manufacturier entreprenant et actif, après avoir étudié les procédés des sucreries indigènes, avait, suivant les conseils éclairés de MM. Derosne et Caïl, dressé les plans de grandes sucreries centrales destinées aux colonies. Entièrement dévoué à la réalisation de ce projet, il se mit immédiatement à l’œuvre, se rendit à Bourbon, où l’avait précédé l’envoi des machines et appareils perfectionnés, s’occupa de les installer, et prépara des marchés avec les planteurs, auxquels il offrait, de leurs cannes sur pied, pour plusieurs années, un prix plus rémunérateur que celui obtenu par leurs exploitations sucrières. Les objections ne furent pas épargnées au nouveau-venu. Dès la première campagne, les résultats heureux n’en dépassèrent pas moins les espérances. Des sentimens d’envie, de haine contre un novateur qui anéantissait le savoir des gens du métier, succédèrent aux doutes irréfléchis. Les deux années suivantes vinrent assurer le succès définitif de l’entreprise, et il fallut renoncer à voir s’accomplir les prédictions malveillantes. Un jour cependant M. Vincent ne revint pas d’une excursion qu’il avait faite aux environs de sa demeure, et depuis lors toutes les recherches qu’on multiplia pour le retrouver restèrent vaines. Son œuvre heureusement ne pouvait demeurer sans résultats ; le grand exemple qu’il avait donné d’une production économique plus abondante d’un sucre plus beau, à l’aide de procédés plus indépendans de l’adresse acquise par d’anciennes pratiques, avait frappé l’imagination des fabricans, et bientôt plusieurs d’entre eux se mirent en mesure de réaliser à leur profit les avantages dont ils avaient été témoins.

Ce procédé devait subir sans doute le sort des applications nouvelles qui, tentées dans des usines fort éloignées des lieux où les machines et appareils nécessaires sont construits, ne peuvent se soustraire à des accidens qui entraînent parfois des dommages considérables. Néanmoins les chances ont été de moins en moins contraires