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nos colonies d’après une méthode récemment introduite, différente certainement de celle des Chinois, apparaît aujourd’hui même dans le commerce, et cette méthode économique, qui doit rendre directement consommable le produit d’une première concentration des jus, ne peut manquer de concourir efficacement à la solution du problème qui intéresse si gravement nos colonies.

La canne à sucre fut successivement transplantée à Saint-Thomas par les Portugais, dès qu’ils connurent cette île ; des Canaries à Saint-Domingue, vers 1506, peu d’années après la découverte de l’Amérique. Ce n’est qu’à partir de cette époque que le sucre, jusque-là destiné presque exclusivement aux préparations médicinales, se répandit peu à peu dans les usages alimentaires ; encore ne fut-il d’abord employé qu’avec beaucoup de réserve, en raison surtout d’un préjugé qui de nos jours n’est pas entièrement dissipé, et qui attribuait au sucre des propriétés spéciales parfois contraires à l’hygiène. L’application du sucre à l’alimentation n’en devait pas moins prendre une extension croissante, et si l’on peut se féliciter d’un tel résultat au point de vue économique, il sera aisé de montrer par quelques détails sur les caractères distinctifs, comme sur les propriétés du sucre de canne, que l’hygiène aussi ne peut qu’y applaudir.

On crut d’abord pouvoir placer les caractères distinctifs du sucre végétal dans la saveur même si aisée à reconnaître qui le distingue des autres substances usitées dans l’alimentation des hommes ; mais les progrès de la chimie firent bientôt abandonner ce moyen de vérification. En effet, on avait retrouvé la saveur sucrée dans plusieurs composés minéraux absolument dépourvus de qualités nutritives, ou même présentant des propriétés toxiques. De ce nombre étaient plusieurs sels de glucine, cette base découverte par Vauquelin dans l’émeraude et plusieurs autres pierres précieuses, et qui emprunte son nom au mot grec glykos (doux), — l’acétate de plomb, sel vénéneux appelé sucre de Saturne par les anciens chimistes, etc. On crut alors prendre pour un signe distinctif plus sur une propriété remarquable des substances ou principes immédiats sucrés et alimentaires extraits des végétaux ou du miel. Parmi ces divers sucres comestibles, — sucre de canne, sucre de betterave, sucre tiré de diverses racines, de toutes les plantes de la famille des graminées, blés[1], orges, seigles, maïs, etc., sucre obtenu de

  1. Chacun peut aisément reconnaître la présence du sucre dans une tige de froment : que l’on saisisse par exemple l’extrémité supérieure de cette tige près et au-dessous de l’épi, et qu’on la tire graduellement comme si on voulait arracher la plante ; lorsque les épis sont en fleurs, on parviendra sans peine à faire détacher au-dessus d’un nœud une portion de tige sortant aussitôt de la feuille engainante ; la portion tendre et gorgée de jus qui adhérait au nœud, mise et broyée dans la bouche, y produira une saveur très sucrée.