ment ennemi des gingerbread-nuts[1], et je profitai de cette circonstance pour lui faire ma cour. Le stage-manager (directeur de la scène), qui était le père de la jeune fille, s’approcha de moi avec un air grave : je vis tout de suite qu’il se méprenait sur la nature de mes intentions. Il avait sans doute cru que j’étais un artiste qui cherchait de l’emploi. La vérité est que la troupe venait tout dernièrement de perdre un excellent sujet; c’était un homme du pays de Galles, qui jouait le rôle d’un Français dans une pièce où il faisait beaucoup rire, parce qu’il se donnait pour tout nouvellement débarqué du continent, et était ainsi censé ne rien entendre au langage des Anglo-Saxons. Le manuscrit de la pièce, en cela d’accord avec la couleur locale, aurait voulu qu’il parlât français; mais comme il ne savait pas prononcer un seul mot de cette langue, il se contentait de parler welsh, et le peuple des campagnes anglaises, également étranger à l’un et à l’autre idiome, se montrait toujours satisfait. Le stage-manager avait néanmoins jugé qu’il y aurait avantage à utiliser les petits moyens d’un Français en chair et en os, récitant des phrases dans sa propre langue. Il m’apprit donc que si le succès de la recette répondait à son attente, comme il y avait tout lieu de l’espérer, car le temps était magnifique, un souper, sorte de pique-nique, aurait lieu entre les acteurs à la suite des courses, et que j’étais libre de m’y rendre. Pourquoi aurais-je refusé? C’était une entrée dans le monde que je désirais connaître, et je poussai un peu étourdiment sans doute cette porte entr’ouverte. Il fut convenu que je souperais avec la troupe, et ce rendez-vous devait être comme un premier pas dans ce que le stage-manager appelait ma carrière publique. Cela dit, il saisit son porte-voix et courut vers l’estrade extérieure, où l’appelaient ses fonctions, car la troupe, dans toute sa gloire et dans toute la pompe de ses vêtemens pailletés, venait de tourner, de danser et de parader trois ou quatre fois sur la plate-forme[2].
Les courses de chevaux, auxquelles je prêtai peu d’attention, mais qui étaient la grande affaire des fermiers, venus de très loin dans d’élégantes voitures découvertes, se terminèrent à la fin du troisième jour, et la fête s’éteignit avec les courses. Le lendemain, la magie de la scène avait disparu, laissant pour une dizaine de mois[3] la colline de Chatam au silence, à la solitude et aux rendez-vous d’amour entre les servantes et les soldats. On reploya les
- ↑ Sorte de macarons en pain d’épice.
- ↑ Le régisseur d’un théâtre forain est un personnage très occupé. L’une de ses fonctions est d’appeler sur la brèche les soldats de son régiment, qui ne se montrent que trop disposés à se disséminer çà et là.
- ↑ Outre les courses de chevaux, il y a la foire proprement dite, qui a lieu au mois de mai.