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gagé gagé par le maître de l’hôtel en qualité de garçon (pot-boy). Il exerçait ses humbles fonctions, quand arriva dans l’hôtellerie un malheureux vieillard avec un théâtre d’optique sur le dos. Le vieillard tomba malade et mourut. Comme Richardson avait été bon pour lui durant sa maladie, le pauvre homme lui laissa tout ce qu’il possédait sur la terre, son peep-show. Quelques semaines après, Richardson quitta son emploi, au grand déplaisir du maître de l’hôtel, et s’en alla courir les aventures. A force d’industrie et de frugalité, il amassa bientôt une certaine somme d’argent. Un jour qu’il passait près de Londres dans un village, il remarqua parmi le groupe d’adolescens qui s’étaient rassemblés devant son spectacle d’optique un enfant qui avait la figure tachetée. L’idée lui vint que ce ne serait point une mauvaise spéculation : il s’informa et apprit que la mère de cet enfant tacheté était une pauvre veuve chargée d’une nombreuse famille; il lui proposa d’engager le phénomène vivant, et lui offrit tout de suite cinq guinées avec la promesse de renouveler ce même paiement tous les trimestres. Après quelques momens d’hésitation, les cinq guinées furent acceptées. Richardson quitta donc le village, emmenant avec un air de triomphe le captif de sa bonne ou de sa mauvaise fortune. Il acheta une caravane, et se mit à montrer « la merveille des merveilles. » Le prix d’entrée était d’abord très modeste, 1 penny par personne; mais le spectacle eut tant de succès et le concours des visiteurs devint si nombreux que le showman éleva ce prix à 2 pence, puis à 6 pence, enfin à 1 shilling. Après avoir été deux ans avec Richardson, l’enfant mourut de la rougeole. Richardson, qui avait partagé avec lui son pain et son lit, se montra très affligé; il en parlait encore vingt ans après avec des larmes dans les yeux. Ce n’était point la valeur de l’enfant qu’il regrettait, c’était sa perte. Il lui éleva un monument funèbre, et continua pendant longtemps d’envoyer des présens à la mère, dont il avait doublé la pension durant la vie de l’enfant.

Richardson était un homme bon et généreux. Durant la foire de Saint-Albans, le feu avait pris dans la ville : Richardson, qui était alors propriétaire d’un théâtre portatif, arrêta la représentation, et, à la tête de sa troupe d’acteurs, lutta vaillamment contre l’incendie pour sauver les meubles et la vie des habitans. La perte était néanmoins considérable. On ouvrit une souscription en faveur des victimes de la catastrophe. Les gentilshommes de Saint-Albans et des environs envoyèrent une, deux ou même cinq guinées par tête. Un jour se présenta au bureau de la souscription un homme avec une paire de petites culottes noires, des bas de laine et un long habit bleu; il jeta sur la table cent guinées. « Quel nom inscrirai-je? demanda le caissier. — Écrivez : un ami, » répondit l’inconnu, et il