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et à mesure que le théâtre de marionnettes descendait vers les rangs inférieurs de la société. A cause de son caractère de tyran domestique, Punch n’est point un favori du beau sexe, et vous verrez, si vous vous arrêtez devant un puppet-show, que l’auditoire se compose beaucoup plus d’hommes que de femmes. Malgré les mauvaises actions de sa vie, M. Punch, — et c’est à cause de cela que je m’y arrête, — personnifie un côté du caractère anglais, la force d’âme, la présence d’esprit, l’empire sur soi-même. C’est aussi à ce point de vue que le vieux gentleman, si au fait de la vie des marionnettes, défendait le personnage dramatique auquel s’intéresse le peuple de Londres.

« Après tout, me disait-il, nous ne devons point chercher la perfection dans la nature humaine, et il serait injuste de demander aux marionnettes, faites à l’image de l’homme, plus que nous n’exigeons de l’homme lui-même, fait à l’image de Dieu. Je n’aime point la manière dont, poussé par la jalousie ou aigri par les discordes conjugales, Punch jette à travers la fenêtre son enfant unique, la petite fille au maillot qu’il berçait et soignait tout à l’heure avec une dévotion de nourrice. Je n’approuve pas non plus sa conduite brutale envers mistress Judy, laquelle est très certainement une femme sacrifiée; mais je sympathise avec lui dès qu’il lutte contre les afflictions de la vie avec une force de volonté inébranlable. J’applaudis à l’énergie railleuse avec laquelle il brave l’horreur des cachots et il entend prononcer sa sentence de mort. La foule rit, et je ris avec la foule à la vue de la ruse qu’il emploie pour pendre en son lieu et place Jack Ketch lui-même[1]. Le dénoûment, je l’avoue, n’est pas très moral : après avoir échappé à la justice humaine, le coupable échappe encore à la justice divine; mais malheur au showman qui essaie de changer la conclusion! Je me souviens d’avoir vu jeter de la boue dans les rues de Londres à un joueur de marionnettes qui, par un motif honorable sans doute, avait refusé de donner la victoire à Punch sur l’exécuteur des hautes-œuvres et sur le démon. Un esprit tenace et fertile en expédiens qui triomphe de la force matérielle sous la forme d’un gros chien noir, de la maladie sous la forme d’un médecin, de la mort sous la forme d’un squelette ou du bourreau, de tous les ennemis du genre humain sous la forme du diable, qui triomphe en tout et toujours, voilà le Punch qu’il faut au public anglais. Cela rentre dans le caractère britannique, lequel ne veut point être vaincu, même quand il a tort. C’est surtout dans sa lutte avec Shalla-ba-la que j’apprécie la fermeté de Punch. Celui qui a tourmenté les autres est tourmenté à son tour. Le

  1. Nom populaire qu’on donne dans la Grande-Bretagne au bourreau, hangman.