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avec le joyeux silence des vallées et la fraîche verdure des bois. Je ne suis pas le seul qui se divertisse aux aventures tragiques de Punch et de Judy; je connais des artistes, des hommes de lettres, deux membres de la chambres des communes, qui s’arrêtent volontiers comme moi devant ce théâtre en plein vent. Nous autres Anglais, nous sommes plus naïfs que nous n’en avons l’air, et nous nous amusons de peu; vous avez dû vous en apercevoir, si vous avez remarqué le grand concours de personnes de tout âge et de toute condition qui se pressent, par un beau jour d’été, autour de ces acteurs de bois qu’anime la main invisible du puppet-sho<men. Un de mes amis, philosophe et homme du monde, passe des soirées amusantes à jouer le drame de Punch and Judy devant sa famille et devant un petit cercle de connaisseurs. Quant aux puppet-showmen des rues, il existe parmi eux autant de différence, — je parle du talent, — que parmi les artistes de nos grands théâtres. Celui que vous venez d’entendre est moyen. J’en ai connu un, il y a de cela bien des années, qui était un grand homme dans son genre, in his line. Croyez-moi, j’ai assisté depuis à bien des représentations dramatiques; j’ai vu les astres, the stars, de la scène anglaise; j’ai vu les deux Kean, Charles Young, Kemble, Macready : eh bien! soit que les impressions de la jeunesse restent toujours les plus vives, soit que le showman fût vraiment un artiste habile, je n’ai jamais été si ému dans ma vie que devant ce théâtre de marionnettes. C’est de là peut-être que vient mon goût pour ce genre de spectacle. Et puis, je suis de l’avis d’Olivier Goldsmith, j’aime à voir autour de moi des figures souriantes. Punch and Judy est le théâtre du peuple et des enfans. Le pauvre lui doit ses heures de récréation et l’oubli de ses maux. Le puppet-showman lui-même est un type. Son ambition, — en est-il de plus innocente? — est d’amuser. Ne croyez point qu’il soit insensible à l’effet qu’il produit sur l’auditoire; il a son amour-propre, et il est heureux de faire plaisir aux autres. Quant à moi, j’ai plus de satisfaction à applaudir un joueur de marionnettes ou un acteur de foire qu’un grand tragédien. Ce dernier n’a que faire de mes accens d’enthousiasme qui se perdent dans le tumulte de la salle, tandis que le dernier y trouve une source d’encouragement. Si jamais vous désirez faire connaissance avec un puppet-showman, ne lui épargnez point la louange : il n’y a jamais de mal à flatter les malheureux. »

Sous une apparence de bonhomie, ce vieillard était instruit : j’obtins de lui des renseignemens sur l’histoire des marionnettes en Angleterre, sur l’origine, la biographie et le caractère de Punch, sur la vie du puppet-showman. Les marionnettes jouent depuis un temps immémorial un grand rôle dans les récréations des Anglais, et j’oserais presque dire dans leur littérature. Le grave docteur Johnson