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chapeau qui avait été gris, cravaté d’un chalumeau de Pan à plusieurs tuyaux, pandœan pipe, soufflait dans cet instrument et frappait à la fois de ses deux mains sur un large tambour. L’effet de ce signal fut magique. De même que le bruit de l’airain, dit Virgile, rassemble en grappes les abeilles vagabondes, ainsi, aux premiers sons du chalumeau et aux premiers coups du tambour, des essaims d’enfans accoururent, sortant de tous les coins de rue, et se groupèrent devant le théâtre dont la toile était baissée. Au lever du rideau, M. Punch vint réciter un prologue qui fut bien accueilli, à en juger par les pence qui tombèrent dans une soucoupe. J’avais sous les yeux deux spectacles attachans : les marionnettes et la foule. Tous les regards étaient suspendus par un fil magnétique à ces hommes de bois qui faisaient l’un après l’autre leur entrée, gesticulaient, causaient entre eux, et finissaient presque toujours par se donner des coups de bâton. Un rire d’un accent tout britannique courait autour du cercle des spectateurs, sur le visage desquels on lisait la joie, la surprise, l’approbation. Je distinguai parmi eux un vieillard à cheveux blancs et à figure intelligente qui semblait prendre un intérêt tout particulier au dialogue des acteurs et aux péripéties du drame. Punch venait d’assommer sa femme à grands coups de gourdin, et, ravi de sa victoire, il chantait sur un air fort gai les plaisirs du veuvage, quand le spectre de Judy apparut dans un coin du théâtre, s’avança lentement, et appliqua un vigoureux soufflet sur la joue du pécheur insolent et endurci. Étourdi du coup, effrayé de revoir sa femme, Punch se sauve ; mais le spectre le poursuit : c’est une course furieuse et fantastique, à la suite de laquelle Punch, épuisé, terrifié, vaincu, tombe sans vie sur le devant de la scène. Un constable vient et constate le décès. La toile tomba un peu brusquement sur ce coup de théâtre, et un léger murmure circula parmi les spectateurs, qui se dispersèrent.

Le vieillard vint à moi et me dit : « Voilà un dénoûment tout nouveau, mais qui n’aura point de succès. » Il est rare qu’un gentleman adresse la parole dans la rue à un étranger, et j’attribuai cette manière d’agir au besoin que l’inconnu éprouvait de justifier ses rires immodérés durant la représentation, car il avait remarqué que je l’observais. « Vous vous étonnez peut-être, reprit-il, qu’un homme de mon âge s’intéresse à ces jeux. Que voulez-vous ? j’ai un faible pour ce théâtre ambulant, qui ajoute des points de vue nouveaux au spectacle des rues et des notes particulières au concert des cris de Londres. J’aime la voix de Punch, j’aime ces sons aigus que j’ai écoutés tant de fois et qui m’ont si fort réjoui dans mon enfance. C’est un bruit qui me semble aussi bien en harmonie avec le mouvement de la grande ville que l’est au printemps le chant du coucou