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dévorer une larme. Le jeune itinerant musician et la petite danseuse parcoururent une grande partie du sud de l’Angleterre et s’embarquèrent même pour l’île de Jersey. Je ne sais si ce fut un effet des ferventes bénédictions du père, mais la mère et les enfans revinrent six mois après avec une bourse bien garnie, et qui arriva fort à propos, car le pauvre homme était malade depuis deux semaines dans son lit.

A Londres et dans les autres villes, les musiciens ambulans jouent presque tous les jours, quand le ciel n’est ni trop rayé de pluie, ni trop chargé de neige, et leur concert en plein vent dure plus ou moins, selon la générosité des auditeurs; mais le beau temps de l’année pour eux, c’est celui des waits[1]. Les waits commencent quinze jours ou trois semaines avant Noël et se terminent le jour de cette fête. C’est surtout dans cette circonstance que la musique des rues revêt un caractère poétique. Il est minuit : la ville repose, autant du moins que peut reposer cette colossale ruche industrielle qu’on appelle Londres. Des bandes de musiciens ambulans se répandent à cette heure de nuit dans les différens quartiers de la métropole. Une telle coutume a évidemment une origine religieuse. Les waits sont un écho prolongé à travers les âges du cantique, ou, comme dit le vieux Milton, du carol que chantèrent les anges quand ils annoncèrent aux bergers la naissance du petit enfant couché dans une crèche. D’authentiques monumens proclament en effet que cette musique nocturne était autrefois une sorte de sérénade sacrée[2]. Il paraît du reste que dès le XIIIe siècle les carols et les waits avaient dévié, au moins en partie, du sentiment des âges primitifs. Aujourd’hui le caractère de cette musique est tout profane. Des troupes de musiciens, dans lesquelles il est difficile de retrouver une image, même effacée, des anges qui apparurent aux bergers, rôdent de rue en rue, s’arrêtent de distance en distance, et jouent un air d’opéra suivi d’un air plus gai. Les instrumens sont le plus souvent une harpe, un ou deux violoncelles, une basse et une clarinette. L’exécution est ce que les Anglais appellent moyenne, middling ; mais l’heure, le silence, l’immensité de la nuit, l’imprévu de ce concert, tout prête un sentiment indéfinissable aux sons plus ou moins mélodieux que disperse le vent. Quand les instrumens ont cessé de jouer, un des musiciens souhaite d’une voix sonore aux habitans des maisons voisines, masters and mistresses, « une bonne nuit, un joyeux Noël et une heureuse année. » La classe moyenne de Londres, surtout celle des boutiquiers, professe un faible pour les

  1. Waits vient de watch (veillée); watchmen, veilleurs de nuit.
  2. Voyez Popular Antiquities de Brand.