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de ressemblance, l’amour de la boisson. C’est un axiome parmi eux que le cuivre altère. Quoique moins atteints dans leur industrie que le poète de ballades populaires, les musiciens des rues se plaignent avec amertume du développement des concerts dans les music-halls. « Ces concerts, me disait l’un d’eux, nous enlèvent notre pain. Les amateurs y deviennent d’année en année plus difficiles. Il n’y a pas un flâneur des rues de Londres (street-idler) qui s’arrêterait aujourd’hui cinq minutes pour écouter saint Dastan lui-même jouant de son orgue, car vous savez que ce saint était un musicien ambulant comme nous (a perambulating musician), et qu’il avait inventé de ses propres mains un instrument, père de l’orgue actuel de Barbarie. »

La plupart des musiciens ambulans, — comme d’ailleurs toutes les classes errantes ou demi-errantes, — témoignent une grande indifférence en matière de religion. Il y a pourtant des exceptions curieuses. J’ai connu, il y a trois ans, dans Wapping un ouvrier écossais qui, incapable de nourrir ses enfans par son travail, avait eu plusieurs fois l’idée de les envoyer faire de la musique dans les rues. Le barde écossais est une spécialité : son costume théâtral, la rude originalité de ses airs nationaux, le son rauque, mais primitif de sa cornemuse (bagpipe), tout chez lui attire les yeux et les oreilles des passans. Et puis il n’y a guère de rue, surtout dans les anciens quartiers de Londres, où il ne se trouve au moins une famille écossaise. Or, pour un vrai cœur calédonien, ces airs-là valent mieux que tous les plus beaux airs d’opéra : c’est l’écho de la montagne, c’est la voix du pays. Le projet de suivre cette carrière d’aventures apparaissait donc à la pauvre famille comme un rêve de fortune. Cependant le père lutta et résista longtemps. Sévère presbytérien, il redoutait, et avec raison, pour ses deux enfans, — un garçon de douze ans et une fille de sept ans, — les mauvaises influences de la rue. Les circonstances se montrèrent, hélas ! plus fortes que sa volonté, et le départ des enfans fut résolu. La mère, qui devait les accompagner, tira un jour d’une vieille armoire un double costume de jeune garçon et de jeune fille highlanders. L’aîné revêtit avec l’insouciance et l’orgueil de son âge les bas à carreaux verts et rouges, le kilt qui protège sans les voiler les jambes nues, la veste collante, le plaid attaché sur l’épaule par une broche en argent représentant la fleur emblématique de l’Ecosse, le chardon (thistle). Il devait jouer de la cornemuse, et sa sœur devait danser une des danses caractéristiques du pays (highland-fling). Quand ces apprêts de toilette furent terminés, le père ouvrit gravement une vieille Bible, dont il lut un chapitre à haute voix, donna d’excellens conseils à sa femme et à ses enfans, les bénit, puis se détourna pour