glais. Sous le règne d’Elisabeth, une autre cause de décadence fut le développement de la littérature qui s’accomplissait dans les régions dorées de la société britannique, et auquel les trouvères restèrent étrangers. Leur profession était dès lors si dégradée qu’on trouve dans un statut pénal de cette reine les minstrels classés avec les vagabonds et les mendians. Cromwell, durant son protectorat, traita avec le même mépris et la même sévérité « ces gens vulgairement appelés joueurs de violon ou ménestrels. » L’industrie des minstrels se maintint en dépit des ordonnances publiques ; seulement les nobles trouvères étaient descendus du château dans la taverne ou dans la rue. Nous les voyons encore aujourd’hui promener dans la ville de Londres l’ombre d’une prospérité morte et d’une grandeur éteinte, car les musiciens et les chanteurs en plein vent forment, — et ils ne s’en doutent guère, — les restes d’une caste déchue, mais autrefois puissante et considérée[1].
Les fonctions de poète, de chanteur et de musicien se trouvent quelquefois réunies chez le ménestrel des temps modernes, ainsi qu’elles l’étaient dans certains cas chez les ménestrels du temps passé ; mais le plus souvent ces branches du bel art se montrent tout à fait séparées. Il y a trois classes distinctes de personnes qui se rattachent à la musique des rues : les auteurs, les chanteurs et les joueurs d’instrumens. L’ordre de dignité veut qu’on s’occupe d’abord des auteurs, véritables descendans des anciens trouvères normands ou rimours. Les modernes écrivains qui travaillent pour la voie publique constituent dans la bohème littéraire un ordre à part. Les deux genres de poésie qu’ils cultivent avec le plus de succès sont la ballade et la complainte, sorrowful lamentation. À en croire certains Anglais, la ballade serait d’origine britannique ; on ne peut du moins nier que ce ne soit un des monumens les plus anciens et les plus populaires de leur littérature. L’auteur des rues, street-author, est payé un shilling pour chaque chanson ; mais si l’éditeur est très content des vers ou du produit de la vente, il ajoute parfois dans sa munificence quelques pence aux conditions ordinaires du marché. Il y a quelques années, la ballade des rues constituait pour les éditeurs et les imprimeurs anglais une branche de commerce très fructueuse ; aujourd’hui cette industrie est en dé-
- ↑ Voyez au sujet des anciens ménestrels anglais le livre de M. Chappel intitulé Popular Music of the Olden Time. L’auteur, qui est un antiquaire enthousiaste, a passé plusieurs années de sa vie à recueillir ou à copier d’anciens livres et manuscrits de musique oubliés dans les bibliothèques. On trouve dans cette curieuse collection les chansons caractéristiques de chaque époque. Il est surtout intéressant d’y lire les paroles et la musique des anciennes ballades auxquelles Shakspeare et les autres auteurs du XVIe et du XVIIe siècle font allusion dans leurs ouvrages. Là se retrouve cette chanson que chantait, nous dit Desdemona, la domestique de sa mère.