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changemens et aux ruptures violentes. Comme la plupart des grands catholiques de notre temps, Balbo imagine une église idéale, et en célébrant l’œuvre que cette église doit accomplir, il fait, à son insu, une critique radicale de l’œuvre qu’elle accomplit en réalité. En deux mots, il voit clairement que l’église a terminé son ancienne carrière, et il l’appelle à en commencer une autre, à se succéder à elle-même.

Ce qui est frappant, c’est que le principal remède ordonné par Balbo à la papauté malade ne consiste pas dans des améliorations matérielles qu’il ne serait point impossible certes à un pape intelligent d’organiser avec succès. Le remède absolu, nécessaire, enjoint sous peine de mort, c’est la représentation nationale franche et vraie dans les États-Romains, chose bien autrement difficile que la création d’une marine ou d’une cité de manufactures. Toute la carrière de Balbo, ses études, son expérience, ses méditations le conduisent à ceci : le souverain de Rome, comme les autres souverains italiens, doit s’appuyer sur le peuple, légalement et réellement représenté. Si le pape ne le peut ou ne le veut, il est perdu. Ce jugement, dont la logique est faite pour inquiéter ceux qui ne croient pas à la possibilité d’un pape constitutionnel, est d’autant plus remarquable qu’il n’est accompagné d’aucune révolte, d’aucune désobéissance. Si dans le calme de sa conscience intérieure Balbo prononce l’arrêt que tout s’accorde à lui dicter, il ne veut pas même prendre part aux événemens qui doivent en faciliter l’exécution. Il est trop aimant et trop doux pour accepter un rôle actif dans la rude tâche que la Providence assigne aux hommes de son siècle. Il est resté silencieux devant les erreurs du pontificat de Grégoire XVI ; il ne retracera que dans ses œuvres posthumes les impossibilités qui suivent le retour de Gaëte. Il s’abstient, il s’efforce même de retarder les atteintes que doivent subir les prérogatives pontificales. L’impétueux Gioberti meurt en désavouant ses illusions sur le pape ; Balbo fait davantage en continuant à s’incliner devant le pontife égaré. Il y a des reproches insupportables dans sa vénération désolée. Le silence et la modération excessive du député donnent un grand poids au témoignage de l’écrivain sur l’impuissance papale. Avec Balbo finit tout entière l’idée du libéralisme pontifical, née avec Gioberti et lui. Nul n’invoquera plus cette chimère, cette décevante illusion. Les fautes commises servent d’enseignement pour l’avenir.

Après sa tentative inutile pour former un ministère, l’illustre débris du règne de Charles-Albert était rentré dans sa retraite. Il était, pour le redire encore, l’homme de Charles-Albert ; depuis 1849, il ne faisait plus en quelque sorte que vivre dans le passé ; il se trouvait dépaysé dans le règne nouveau, qu’il ne suivait que du