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REVUE. — CHRONIQUE.

au Piémont et raison à l’Autriche ? En admettant que l’Angleterre et la Prusse fussent disposées à imputer au Piémont l’attitude agressive, ces gouvernemens pouvaient-ils employer des mesures coercitives pour contraindre la Sardaigne à désarmer ? Dans de tels termes, nous le répétons, la question était sans issue. En faisant du désarmement préalable du Piémont la condition absolue de son entrée aux conférences, l’Autriche donnait le change sur ses véritables intentions : elle semblait chercher un prétexte pour échapper à l’action du congrès proposé ; elle allait prendre le rôle agressif, et perdre définitivement sa cause devant cette opinion pacifique, non-seulement française, mais européenne, qui rejettera la responsabilité de la guerre sur celui qui la commencera. Nous ne sommes pas surpris que ce système n’ait trouvé faveur auprès d’aucune des quatre grandes puissances, et que, devant la prétention obstinément soutenue de la cour de Vienne, la crainte ne se soit tout à coup répandue partout que la guerre ne fût inévitable et ne dût éclater par la faute de l’Autriche.

C’est au moment où tout paraissait désespéré que l’on est, croyons-nous, parvenu à conjurer ce danger. Au fond, il y avait dans la demande de l’Autriche des élémens que l’opinion pacifique européenne ne devait pas repousser, s’il était possible de les dégager de la forme maladroite dont la cour de Vienne les avait revêtus. Pour les découvrir, nous prions qu’on nous permette d’examiner avec impartialité les nécessités de la situation de l’Autriche. Peut-être quelques journaux dont nous avons obtenu les mauvaises grâces nous contesteront-ils la licence d’impartialité que nous osons réclamer. Ces journaux, dans l’état subalterne où végète parmi nous la presse politique, croient peut-être faire preuve d’indépendance et de libéralisme en vociférant contre le despotisme autrichien et en soufflant patriotiquement le feu des animosités internationales. Pour nous, qui ne nous sentons ni aussi indépendans ni aussi libres qu’eux, nous nous contentons de penser que de notre temps les peuples et les gouvernemens, même lorsque la force des choses les met aux prises, ne sont plus tenus de s’exciter au combat comme les guerriers d’Homère, en s’accablant de mutuelles injures. Préférant donc le bon goût moderne à l’antique barbarie, nous n’aurons pas peur d’examiner ce qu’il pouvait y avoir de légitime au fond des raisons qui guidaient l’Autriche dans sa première demande. Disons-le tout de suite : ce que l’Autriche recherche, c’est un grand et honorable prétexte de désarmer. Ses arméniens et le pied de guerre où elle s’est mise la ruinent ; son intérêt, plus que celui d’aucune autre puissance, est que l’œuvre du congrès soit efficace et décisive pour la paix. En entrant au congrès, elle veut avoir une garantie sérieuse que le congrès ne se conclura point par la guerre. Si une vague incertitude devait régner sur ce point jusqu’au terme des travaux du congrès, comme ces travaux occuperont plusieurs mois, elle aurait à subir longtemps et inutilement toutes les charges du grand déploiement militaire que la crainte de la guerre l’oblige à entretenir. Elle aurait ainsi les inconvéniens financiers de la guerre sans compensation, sans avoir même le droit d’espérer qu’au prix d’accablantes dépenses, elle pourrait échapper à la nécessité finale d’une guerre véritable. En demandant le désarmement du Piémont, elle voulait évidemment atteindre le prétexte qui lui permît de