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pas exclusivement dirigée contre les Autrichiens malgré les apparences actuelles. Soyez sûrs que la rivale de l’Autriche en Italie, la France, était tout autant impopulaire à l’époque où elle occupait ce pays, et qu’elle deviendrait bientôt aussi impopulaire que l’Autriche, si elle se retrouvait dans la même position. » Lord Granville, après avoir examiné le gouvernement de la Lombardie et avoir constaté que c’était peut-être un des meilleurs de l’Italie, s’arrête devant ce mal et ce ressentiment de la domination de l’étranger, lequel ne saurait justifier une intervention étrangère. « Mais, dit-il, il ne nous appartient pas de discuter si la Lombardie est bien ou mal gouvernée. Ce que nous avons à considérer, c’est que ces provinces appartiennent à l’Autriche en vertu de traités qui ont pu être bons ou mauvais à l’origine, — et il est certain que dans le principe ils ont été considérés comme bienfaisans, — mais qui par l’action du temps sont devenus partie intégrante du droit public européen. » Le grand orateur qui préside le cabinet, lord Derby, n’a fait que donner aux observations de lord Granville la vigueur habituelle que prennent toutes les idées qui passent par sa bouche. « Ce n’est point en Lombardie, a-t-il dit, qu’existe le principal danger. Mon noble ami a tracé un tableau exact du gouvernement de la Lombardie. Cette province n’a guère à se plaindre de son administration, et l’Autriche, dans ces dernières années, s’est appliquée sans relâche à améliorer la situation du pays. La population peut avoir certains griefs, certains motifs de mécontentement ; mais le principal, le seul, l’irrémédiable grief, c’est qu’elle est placée sous le joug d’une nation différente et étrangère. Voilà la cause de mécontentement qui absorbe et domine toutes les autres, et dans ses efforts pour la détruire, la Lombardie n’a que trop souvent oublié ce que mon noble ami nous rappelait tout à l’heure, à savoir que tous les efforts de l’Italie pour reconquérir sa liberté se sont terminés par un changement de maîtres. Dans de telles circonstances, les provinces lombardes, si riches, si fertiles, si prospères qu’elles soient, sont-elles une force pour l’Autriche, et constituent-elles pour cette puissance une possession désirable ? Je n’ai pas la prétention de le dire ; mais il y a un point qui n’est pas douteux, et je souscris entièrement à cet égard à la doctrine de mon noble ami : c’est que, quel que soit le gouvernement intérieur de la Lombardie, le système que l’Autriche applique à l’administration de ses provinces italiennes, qu’il soit habile ou maladroit, doux ou sévère, prudent ou imprudent, nous n’avons point à nous en mêler. Par l’héritage, par la longue possession, par la foi des traités, dont la rupture serait une incalculable calamité pour l’Europe, par tous ces liens l’Autriche a acquis sur ses provinces italiennes une tenure dont personne, pas plus nous que toute autre nation, n’a, à aucun titre et sous aucun prétexte, le droit de la dépouiller. »

La protestation de lord Palmerston a été plus forte encore. Parlant des éventualités de guerre qu’il appréhendait en Italie, le vétéran de la chambre des communes a dit qu’il présumait que le but de la guerre serait l’expulsion de l’Autriche hors des frontières italiennes. « Beaucoup de personnes pensent, a ajouté le noble lord, et je suis du nombre, qu’il serait désirable, non-seulement dans l’intérêt de l’Italie, mais dans l’intérêt bien entendu de l’Autriche, que cette puissance ne possédât point ses provinces