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Il atteignit le seuil d’un pauvre cimetière
D’où l’on voyait au loin la ville tout entière
Luire dans le brouillard. Des vallons aux coteaux
Montaient mille rumeurs : le galop des chevaux.
Le fracas des métiers, la lente mélodie
De l’Angélus, partout le bruit, partout la vie.
Un sentiment nouveau dans son cœur s’éveilla.
Et, rentrant en lui-même, alors il s’écria :

« Oui, les pleurs sont partout, le bonheur est un rêve,
La vie est un combat où le sang coule à flots,
Et la lutte jamais ici-bas ne s’achève.
Et les larmes des yeux jaillissent sans repos.

« Le combat est sanglant, l’épreuve est longue et rude,
Qu’importe si le cœur en sort plus grand, plus fort?...
Le mal, c’est le sommeil, la peur, la solitude,
Et cet oubli de soi plus triste que la mort.

« Ne veux-tu point guérir de ta vieille blessure?
Pareil au voyageur fugitif et lassé,
Redoutant les hasards de la route peu sûre.
Préfères-tu mourir au revers du fossé?

« Vivre, lutter, voilà le seul et vrai remède,
Relève ton courage, et comme en un tombeau
Enferme vaillamment la douleur qui t’obsède:
Scelle-la dans ton âme avec un triple sceau !

« Puis retourne à la vie, à la mêlée immense
Où les pleurs sont féconds, où l’on sait mieux souffrir.
Chaque larme ici-bas doit être une semence,
Chaque goutte de sang doit germer et fleurir. »

Il revint transformé. Le ciel vaste et sans voiles
Brillait illuminé par des milliers d’étoiles.
Alors, les yeux tournés vers ces astres rieurs,
Il comprit le secret de toutes leurs splendeurs :
D’un monde plus heureux il y lut les promesses,
Et dans leurs bleus rayons tout chargés de caresses
Il vit les doux saints, les sourires charmés.
Et les regards des morts que nous avons aimés.


ANDRE THEURIET.