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non plus que l’esprit d’assistance, résultat d’autant plus regrettable que l’habitude de concentration se contracte davantage. Que l’on examine en effet ce qui se passe dans toutes les industries : les capitaux s’agglomèrent non-seulement pour la fabrication, mais pour la vente des produits; le commerce de détail lui-même s’établit sur des proportions gigantesques. Il semble que le but soit, sinon l’accaparement, au moins la domination. Dans un tel état de choses, il est peut-être naturel que les établissemens de crédit aient obéi à la même tendance, et que, pour se porter avec plus d’efficacité au secours des besoins qui les sollicitent, ils aient procédé par une excessive accumulation du capital. Au moins accordera-t-on que, l’union de l’action gouvernementale étant associée sous quelques rapports à leur propre action, l’obtention des privilèges et des monopoles leur a donné une puissance qui n’est pas sans danger, parce qu’elle est sans contre-poids.

Certes il serait injuste de nier et les services rendus et les garanties de bonne administration que de tels établissemens présentent; cependant ils affaiblissent, on ne saurait le nier non plus, le ressort individuel. Ils ne nous ont pas donné ces mœurs vigoureuses dont les pays de liberté économique offrent l’exemple. Peut-être objectera-t-on contre ceux-ci le danger des crises, — et le moment est singulièrement favorable à cette objection, — les écarts d’une liberté mal réglée, ces alternatives de hausse et de baisse si souvent dommageables par leur influence sur les salaires. Grâce néanmoins aux habitudes de ces pays libres, ces crises ne sont point ce qu’elles semblent être. Sans doute le capital confié aux banques d’Angleterre, d’Ecosse et d’Amérique est considérable; la suspension de paiement de ces banques apporterait un grand trouble dans les affaires, mais elle n’y causerait qu’un moment d’arrêt. Chez nous, un pareil événement entraînerait une ruine absolue. D’ailleurs nos habitudes de confiance sont toutes différentes. En France, les dépôts confiés aux banques et aux banquiers représentent un capital proprement dit, à savoir des sommes destinées à produire un revenu sur lequel on vit, ou encore une réserve de numéraire que l’on ne veut pas, pour un temps plus ou moins long, confier à l’industrie. En Angleterre, les dépôts représentent au contraire l’argent disponible, celui que l’on veut employer dans des entreprises ou que l’on veut dépenser. Autant les dépôts sont abondans chez nos voisins, autant la réserve particulière de chacun est petite, tout au contraire de ce qui se passe chez nous. Aussi la suspension des établissemens à qui les dépôts sont remis n’entraînerait pour eux d’autres conséquences que celles qui résulteraient pour nous, si, par une cause quelconque, nous perdions ce que nous appelons l’argent des dépenses courantes. Ce serait une gêne momentanée, et voilà tout.