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tion, la Californie ne pourra qu’en profiter; mais si, comme elle, ce pays prenait rang dans la production aurifère, on ne peut se dissimuler qu’il lui créerait une concurrence que rendraient des plus sérieuses et le voisinage et les immenses ressources dont dispose la persévérance britannique. C’est au temps seul de décider une question qu’il serait prématuré de vouloir trancher aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, il est un fait qui dès maintenant ressort de cette situation avec la dernière évidence : l’impossibilité où seront les Américains de s’étendre vers le nord sur les rives du Pacifique. Peut-être San-Francisco deviendra-t-il quelque jour le New-York de l’ouest, mais à la condition d’avoir à ses côtés dans la Colombie un autre Canada qui maintienne intactes les vieilles et sages traditions coloniales de la mère-patrie. Aussi n’est-ce pas vers le nord que tend le pionnier yankee, c’est vers cette riche contrée du Mexique, objet de l’éternelle convoitise des enfans de l’Union. Quelques années s’étaient à peine écoulées depuis la signature du traité qui leur assurait la Californie, tout n’était encore dans le pays que désordre et confusion, que déjà des regards plus ambitieux ou plus avides commençaient à se tourner vers le sud; déjà se trahissait par des symptômes significatifs le réveil de cette fièvre d’agrandissement qui peut être parfois momentanément assoupie, mais n’est jamais éteinte. L’Américain pense-t-il que s’arrêter serait déchoir? Voit-il une condition d’existence dans ce go-ahead instinctif, devenu la devise de sa race? On ne saurait donner d’autre explication, je ne dirai pas seulement de la facilité avec laquelle s’organisèrent à San-Francisco les diverses expéditions de flibustiers dirigées contre le Mexique, mais de la sympathie qu’elles rencontrèrent dans toutes les classes de la population. Il en fut ainsi lorsqu’à deux reprises le comte de Raousset-Boulbon quitta ce port pour montrer sur le champ de bataille d’Hermosillo et sur la plage de Guaymas un courage chevaleresque digne d’une meilleure cause. On avait eu de ces sentimens une preuve encore plus caractéristique lors de la première tentative par laquelle Walker appela sur lui l’attention de l’Europe, et le juge saint-franciscain qui prononçait sur le sort du colonel Watkins, vice-président de l’éphémère république de Basse-Californie, avait proféré de son siège ces étranges paroles : « Je sympathise profondément avec l’accusé, je ne puis qu’admirer les héros qui vont comme lui relever au Mexique l’autel de la liberté; toutefois, comme juge, je n’ai qu’une chose à envisager : la loi a-t-elle été violée[1] ? »

Non-seulement la loi avait été violée avec une rare audace, puisque

  1. Walker fut condamné à 7,000 francs d’amende, ne les paya pas, et ne fut ni emprisonné ni même inquiété.