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dis que l’établissement de la Rivière-Rouge, appartenant à la compagnie et séparé seulement du Minnesota par le 49e parallèle, restait depuis vingt ans stationnaire; on prétendait que le Yankee avançait par an de cent lieues en moyenne vers le nord, et qu’il ne tarderait pas à venir coloniser de gré ou de force les solitudes que l’on abandonnait à un monopole improductif. Il y avait beaucoup d’exagération dans cette croisade; les immenses régions concédées à la compagnie, vouées pour la plupart aux rigueurs d’un hiver éternel, ne sauraient se prêter à aucune culture, et ne semblent guère pouvoir produire autre chose que les animaux à fourrures, dont là destruction totale serait imminente le jour où le pays serait indistinctement ouvert à tous les aventuriers. Toutefois ce sujet a pris un intérêt plus vif depuis quelque temps : la charte primitivement octroyée à la compagnie en 1670, puis prolongée de vingt et un ans en 1838, expire définitivement en 1859. Sera-t-elle renouvelée, modifiée ou abrogée? Un comité de la chambre des communes a étudié l’affaire avec la patience investigatrice que les Anglais apportent à toutes leurs questions coloniales, et il est arrivé à la conclusion fort sensée de laisser à la baie d’Hudson les territoires hors d’état d’être cultivés, en ouvrant à la colonisation les points vers lesquels elle semblait tendre à se diriger, et par exemple l’île de Vancouver.

L’affaire en était là lorsqu’est survenue une complication nouvelle et assez grave. Vers les premiers mois de 1858, dix ans après la découverte de Marshall, le bruit s’est répandu dans la Grande-Bretagne que d’abondans dépôts aurifères avaient été trouvés au nord et à l’est de l’île Vancouver. On a vu dès lors se reproduire sur une échelle restreinte les scènes dont la Californie avait été le théâtre : la rivière Frazer a remplacé les bords du Sacramento, et la petite ville de Victoria semble devenue un San-Francisco en miniature. Restera-t-elle ainsi à l’état de diminutif de sa formidable rivale? Entre les mains des Anglais, la chose est peu probable. A la vérité, les dernières correspondances sont loin de confirmer les espérances qu’on avait d’abord conçues sur la facilité d’exploiter les gîtes précieux qui viennent de se révéler; mais, même en dehors de cette source de richesse, la Nouvelle-Calédonie, ou, pour lui donner son nouveau nom officiel, la Colombie, dont l’île de Vancouver est une dépendance, possède dans ses bois et dans son charbon la garantie d’un splendide avenir maritime. Que San-Francisco s’inquiète de voir grandir à ses côtés un établissement étranger qui partagerait avec lui la domination commerciale de ces mers, c’est ce qui est naturel; tout se réduit à savoir de quelle nature sera le développement de la nouvelle colonie dont l’Angleterre vient de jeter les bases. S’il est principalement agricole et que les exportations s’y limitent, comme on vient de le dire, à la houille et aux bois de construc-