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pour le territoire sur lequel on spéculait. « On n’avoit pas le moindre soin de pourvoir à la subsistance de tant de malheureux sur les chemins, dit Saint-Simon, ni même dans les lieux destinés à leur embarquement; on les enfermoit la nuit dans des granges sans leur donner à manger, et dans les fossés des lieux où il s’en trouvoit, d’où ils ne pussent sortir. Ils faisoient des cris qui excitoient la pitié et l’indignation, et il en mourut partout un nombre effroyable. » De semblables horreurs sont heureusement loin de nous, mais l’expatriation n’a guère en France de prosélytes plus enthousiastes aujourd’hui qu’elle n’en avait alors, et maintenant que la Californie tend à entrer dans une voie normale, maintenant que les merveilleux coups de fortune, les big strikes, réservés aux première chercheurs d’or y deviennent de moins en moins possibles, je doute fort que l’on pût, s’il le fallait, retrouver chez nous les trente mille émigrans volontaires qui sont allés porter notre nom et nos idées sur ces rives lointaines du Pacifique.


III.

En 1784, la douane anglaise faisait opérer la saisie de huit balles de coton marquées America, attendu qu’il était inadmissible, disait le procès-verbal, que ce pays pût en produire une aussi grande quantité : il en produit aujourd’hui plus de trois millions de balles, rapportant 600 millions de francs. Maintes fois je me suis rappelé ce fait en entendant parler des merveilles de l’Union et de son prestigieux développement. Le développement à venir de la Californie sera-t-il moins brillant? Un fait également significatif va répondre. En 1852, une frégate française arrivant à Valparaiso n’y trouvait qu’avec peine les farines nécessaires pour compléter ses vivres; tout s’expédiait à San-Francisco. Trois ans plus tard, cette même frégate arrivait au pays de l’or, où la population atteignait alors le chiffre de quatre cent mille âmes. Non-seulement dans ce court intervalle la Californie en était venue à se suffire à elle-même, elle alimentait de ses ressources la marée humaine qui l’envahissait, mais de plus on voyait le long des quais de San-Francisco plusieurs vastes clippers, représentant des milliers de tonneaux, occupés à charger du blé pour l’Angleterre!

Je n’entends nullement conclure de ce fait que dans l’avenir du pays la colonisation agricole soit destinée à primer l’exploitation de l’or. Ce qui me frappe surtout, c’est ce rare assemblage de deux fécondités qui souvent s’excluent dans la nature, c’est l’inévitable grandeur de cette double richesse minérale et végétale misé au service de la race la plus entreprenante qui soit sur notre globe. Les imparfaites tentatives d’agriculture des pères franciscains avaient