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de Calcutta foisonnaient de jeunes personnes venues d’Angleterre avec l’intention avouée de trouver un mari, soit parmi les célibataires d’un état-major réduit à de longues années d’exil, soit dans la classe plus richement payée des civilians. Elles partaient le plus souvent seules, recommandées à un parent éloigné ou à une simple connaissance qui pût leur servir d’introduction, et la coutume en était si bien établie que les ouvrages spéciaux qui se publiaient de l’autre côté du détroit détaillaient minutieusement tous les articles du trousseau nécessaire aux «jeunes personnes allant dans l’Inde pour s’y marier. » Disons à l’honneur de la galanterie britannique que leur espoir était rarement déçu. Ce singulier usage a-t-il fait naître chez le Californien l’idée de se procurer de la même manière l’élément féminin qui lui manque? On le croirait en lisant le curieux prospectus dans lequel une dame américaine, mistress Farnham, offrait d’organiser sur une fort grande échelle l’émigration des femmes pour San-Francisco. Il va sans dire que les mœurs les plus pures, the highest respectability, étaient de rigueur, et pour présenter plus de garanties, nulle émigrante ne pouvait être admise au-dessous de vingt-cinq ans. Un navire du reste leur eût été exclusivement affecté, et chacune d’elles devait justifier de la possession d’une somme de 1,200 francs. Si minime que fût le chiffre de cette dot, l’entreprise n’en avorta pas moins; mais cet échec n’a pas empêché les agens de colonisation californiens de continuer à solliciter dans leurs publications le beau sexe d’Europe ou des États-Unis au moyen des plus insinuantes câlineries de leur éloquence. « Qu’importe l’argent? ne cessent-ils de répéter; c’est la dernière considération dont se préoccupe un gentleman chez nous. » — « La jeune personne qui aime le monde et ses plaisirs, écrit l’un d’eux, trouvera ici de nombreux partners prêts à lui en procurer toutes les jouissances; celle qui au contraire préférera se renfermer dans l’intimité du cercle de famille y rencontrera également des hommes tranquilles et sûrs, dont la maison s’ouvrira avec empressement devant elles. » On voit que si, comme le prétend une vieille chanson, il faut des époux assortis, nos Françaises ne sauraient mieux faire que d’aller se marier à San-Francisco.

Nous sommes-nous laissé aller à représenter la colonisation californienne comme plus riche de promesses qu’elle ne l’est réellement? Je ne le crois pas, car nous n’avons fait qu’exprimer en toute sincérité l’admiration dont nous avait pénétré la vue de ce magnifique pays. D’ailleurs on est en France assez à l’aise en pareille matière, et nulle inquiétante épidémie d’émigration n’y sera de longtemps à redouter. Lorsque dans le siècle dernier Law porta à son paroxysme la fièvre d’agiotage connue sous le nom de banque du Mississipi, c’était la police qui se chargeait de raccoler des colons