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targue pas de profondes connaissances en économie politique, qui confesse même son heureuse incompétence, mais qui a observé de près, et mieux que ne l’ont fait les voyageurs les plus officiels, la condition matérielle et morale des tribus soumises à ce système. En principe, la colonisation hollandaise repose sur le monopole et sur le travail forcé : les indigènes sont tenus de cultiver pour le gouvernement un produit déterminé, ici la muscade, là le girofle, ailleurs le café, ou bien ils doivent aux propriétaires auxquels sont concédées les plantations un certain nombre de jours de travail. Ce régime comporte néanmoins des exceptions commandées par la nature du sol, par les mœurs des habitans, par les ménagemens qu’inspire l’intérêt politique. Ainsi dans l’île de Célèbes l’indigène n’est assujetti qu’à l’obligation de payer en argent un impôt représentant le dixième de la récolte ; il demeure libre de planter le café, le sucre, les épices. Qu’arrive-t-il? C’est que l’habitant de Célèbes travaille le moins possible; il cultive juste la quantité de riz qui est nécessaire à son alimentation, et le reste du temps il se croise les bras. A Java et dans les îles où le régime des cultures forcées est en vigueur, la production s’accroît chaque année; l’indigène est plus riche, le commerce plus actif et le progrès plus rapide : d’où il résulte, suivant la logique de Mme Pfeiffer, que « si le gouvernement renonçait à son système de monopole et n’imposait pas le travail aux habitans, ceux-ci ne planteraient pas davantage, comme le prétendent quelques personnes, et ne produiraient pas à des prix moins élevés, mais que bien au contraire toutes les plantations, sans excepter celles de Java, finiraient par périr. » Au surplus, Mme Pfeiffer n’hésite pas à déclarer qu’après avoir vu dans ses voyages la plupart des contrées du globe et parcouru les différentes colonies, elle considère comme étant les plus heureux les peuples qui ne sont pas tombés sous la domination de la race blanche.

Doit-on admettre sans réserve une semblable conclusion? Faut-il croire qu’une si grande portion du genre humain soit affranchie de la loi du travail et vouée à l’éternelle paresse? Est-il vrai que la domination européenne n’entraîne à sa suite que tyrannie et misère? En d’autres termes, ces contrées si fertiles seraient-elles destinées à rester en friche, et la race blanche fait-elle réellement violence à la nature, alors qu’elle féconde des semences de son génie la région des tropiques et enseigne le travail à de sauvages tribus? Non assurément. La liberté comme l’entendent et la pratiquent les sauvages, la liberté qui consiste à couper des têtes à la façon des Dayaks, à manger la chair humaine, puis à s’allonger au soleil sur une terre généreuse qui réclame vainement un sillon, cette liberté n’est point tellement sacrée que l’on ne puisse sans crime y porter atteinte. Il