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repas de riz et de kari assaisonné avec de l’huile de coco rance. Au second village, même réception. La tribu revenait du combat et rapportait une tête d’homme, qui fut immédiatement suspendue au plafond dans la demeure du chef, et sous laquelle on prépara le lit de Mme Pfeiffer; c’était, à ce qu’il paraît, la place d’honneur. Plus d’une fois la petite caravane rencontra des tribus allant en guerre, et quand on lit le récit de Mme Pfeiffer, récit très sincère, où elle ne dissimule ni ses émotions ni ses frayeurs, on se demande comment elle parvint à franchir sans encombre, tantôt en canot, tantôt à pied, la distance de Sacarran à Sintang..Ce village, peuplé de quinze cents habitans, est gouverné par un sultan que ses rapports fréquens avec les Hollandais de Pontianak rendent plus facilement accessible pour les Européens, et la voyageuse devait y faire en toute sécurité une courte halte. La vue du pays traversé avait d’ailleurs compensé tant de périls. Cette partie de Bornéo est couverte de belles forêts, coupée de nombreux cours d’eau, fertile dans les plaines, pittoresque dans tous ses aspects. Malheureusement ces dons de la nature demeurent stériles entre les mains d’une population qui est très clair-semée, et qui travaille à peine. Mme Pfeiffer se montre pourtant bienveillante pour les Dayaks. Sauf le détail des têtes coupées, elle n’hésite pas à vanter leur douceur, leur moralité, leurs bons sentimens de famille, l’amour qu’ils portent à leurs enfans, le respect que les enfans témoignent à leurs parens, en un mot leurs mœurs vraiment patriarcales : ils pourraient épouser plusieurs femmes, et ordinairement ils n’en prennent qu’une, et la traitent bien; ils usent rarement du divorce, etc. Je cite presque textuellement le certificat que leur délivre Mme Pfeiffer. N’y aurait-il pas là un peu d’exagération? Peut-être la voyageuse est-elle à la fois si étonnée et si ravie de se sentir encore la tête sur les épaules après cette visite aux Dayaks, qu’elle ne leur ménage pas les complimens, et se montre disposée à leur passer bien des choses. La joie d’en avoir été quitte pour la peur la rend d’autant plus indulgente que la peur, nullement dissimulée, a été plus vive. Sans doute aussi elle se laisse aller à ce sentiment de bienveillance qui respire dans tous ses récits et qui en fait le charme. Pardonnons-lui de n’être point complètement exacte dans son appréciation, puisque c’est aux dépens de la médisance. On voit assez de ces voyageurs chagrins et frondeurs qui ne sont jamais contens de rien, et qui, du haut de leur supériorité européenne, ne cherchent et ne trouvent parmi les peuplades primitives que des objets de blâme et de mépris. Il vaut mieux assurément faire campagne avec un touriste d’humeur facile, qui sait s’accommoder de ce qu’il rencontre, ne se plaint pas trop des épreuves infligées à son estomac, supporte gaiement les dan-