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sant. Les mêmes causes, bien qu’à un degré moindre, rendent aussi le déficit des récoltes très fréquent en Belgique, en Hollande et en Suisse.

Les conditions sont différentes en Italie et en Espagne, et cependant le résultat est le même ; la population est faible comparativement à la superficie. Le sol devrait produire régulièrement au-delà de la consommation intérieure ; mais la population se trouve répartie trop inégalement entre la ville et la campagne ; la terre est peu et mal cultivée. Ces pays sont et resteront longtemps encore exposés à des déficits accidentels, mais fréquens, et lorsqu’ils pourront fournir des céréales à l’exportation, ils ne le feront jamais que dans une proportion peu appréciable.

L’Allemagne comprend des états si étendus, si divers, mais si également laborieux, que d’ordinaire sa production suffit à ses besoins ; s’il se déclare quelque déficit en un point, les secours des états confédérés suffisent pour le combler. Lorsqu’elle possède un excédant, elle l’expédie en Angleterre par la voie maritime. Elle exporte plus volontiers par ses frontières de terre des animaux de boucherie, surtout des chevaux qui, pendant longtemps, ont joui comme carrossiers d’une vogue que nos meilleures races, embellies pour les formes, mais non pas toujours améliorées quant au fond par le croisement anglais, tendent à leur faire perdre chaque jour. Traitant le progrès agricole avec leur froide sagesse, les Allemands n’avancent que lentement, surtout dans les pays épuisés par l’émigration ; ils attendent presque partout les institutions de liberté et d’égalité qui fécondent si miraculeusement le sol. L’Allemagne est donc destinée à rester longtemps encore dans un état intermédiaire, sans grands besoins, mais sans grandes ressources.

Il faut aller jusqu’en Russie pour trouver un pays producteur par excellence, grâce à l’étendue considérable du territoire relativement à la population. L’immense plaine qui forme tout l’empire est une alluvion naturellement fertile, quoique manquant d’eau ; elle a conservé jusqu’ici une partie de cette fertilité première par le long repos qui succède à chaque récolte. Faute de bras néanmoins, et surtout de bras libres, la culture est fort négligée ; le rendement est médiocre, mais l’espace sauve tout. Comme le prix de la main-d’œuvre est peu élevé, que la rente de la terre est assez faible, la production est non-seulement abondante, mais peu coûteuse. Cependant, lorsqu’il s’agit de transporter ces récoltes dans les pays situés à l’ouest de l’Europe, la distance est un obstacle qui tend à mettre les prix des produits russes en équilibre avec ceux des marchés vers lesquels on les expédie. Il peut même arriver, comme nous en avons depuis plusieurs mois la preuve, que le blé soit coté plus cher à Odessa, à Riga ou à Dantzig, qu’à Marseille, à Londres ou Anvers.