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mis autant d’ardeur qu’il en montra peu pour changer cette position, que les résultats définitifs n’auraient sans doute pas sensiblement différé. Si l’Autriche, comme l’affirma toujours le cabinet impérial, n’accéda au partage que parce qu’il était inévitable, et qu’elle ne se crut pas assez forte pour l’empêcher, la présence de Choiseul aux affaires aurait-elle suffi pour décider l’impératrice, vieillie et fatiguée, à engager une lutte directe contre la Prusse et la Russie, avec la seule perspective d’un corps de réserve commandé par les généraux de Rosbach et de Crefeld? Par une conséquence fort naturelle de ses projets contre l’Angleterre, ce ministre avait négligé l’armée, afin de porter sur la marine tous les efforts et toutes les ressources financières du pays. La flotte française, fort nombreuse et fort belle en 1772, aurait été de peu de secours à la Pologne contre ses oppresseurs, et l’Angleterre, demeurée, malgré les insinuations du duc d’Aiguillon, spectatrice impassible d’un crime aussi bien concerté, se serait enfoncée plus obstinément encore dans sa neutralité, si la politique de la France avait été conduite par l’homme d’état dont la pensée fort connue était de prendre sur elle une éclatante revanche. Échapper par la retraite à la crise de 1772 fut donc, comme je l’ai déjà dit, pour Choiseul la dernière faveur d’un sort constamment favorable. Et si, dans l’une de ces heures où le poids de sa dégradation lui semblait insupportable, Louis XV a pu dire que la présence de son ancien ministre l’aurait défendu contre cette ignominie, c’est là une parole qu’un publiciste impartial doit plutôt recueillir que confirmer.

Si la cour de Vienne crut devoir envelopper d’un si profond secret les négociations préliminaires du traité de partage[1], c’est qu’à son avis toute ouverture faite à la France aurait compromis les intérêts de l’Autriche sans sauver la Pologne, que Louis XV n’avait ni la volonté, ni le pouvoir de servir efficacement. Ce prince entendait en effet finir sa vie sans orages, et ce dernier vœu de son indolence pouvait être considéré comme exaucé depuis le succès du coup d’état de 1771, quoique le trouble des esprits se fût accru par la violence qui les avait momentanément comprimés. Le triumvirat n’avait pas tardé à se diviser. Maupeou, infatué de sa victoire, se voyait livré par ses collègues comme le sont presque toujours après le succès les instrumens compromis. Terray, en récompense de l’argent qu’il avait pris dans toutes les poches, aspirait à la simarre et à la pourpre. Le duc d’Aiguillon conservait seul l’attitude d’un personnage qui avait cherché dans le pouvoir un triomphe sur ses ennemis plutôt qu’un avantage pour lui-même. Expression du royalisme le plus exalté, la comtesse Du Barry était la seule inspi-

  1. Traité du 5 août 1772.