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lequel cette œuvre avait été accomplie. Ce qui touchait surtout la France dans l’existence des parlemens, c’était la résistance opposée par ces grands corps à l’arbitraire, qu’elle fût ou non fondée en droit. « C’est un des droits les plus utiles au monarque, et les plus précieux aux Français, que d’avoir des corps de citoyens perpétuels et inamovibles, avoués dans tous les temps par les rois et par la nation, qui, en quelque forme et dénomination qu’ils aient existé, concentrent entre eux le droit général de tous les sujets d’invoquer la loi. » Ainsi s’exprimaient les princes du sang dans une protestation mémorable, accueillie par la nation avec des transports de reconnaissance[1].

La France vit moins dans la concession du nouveau roi une résurrection de l’ancienne magistrature qu’un pas de plus vers cette transformation sociale devancée par des aspirations aussi vagues qu’irrésistibles. L’indifférence témoignée par le public aux parlemens dans le cours du règne de Louis XVI, la froideur avec laquelle il suivait leurs débats, l’obligation où ces grands corps se trouvèrent bientôt de prononcer les premiers ce mot suprême d’états-généraux, qui impliquait leur propre déchéance, la promptitude avec laquelle ils disparurent comme des ombres, en 1789, au premier souffle de l’orage, tout constate que Maupeou n’avait pas vainement agi, et que, sans relever la puissance royale, il avait frappé au cœur la puissance parlementaire.

Une opinion a prévalu longtemps au sein d’une école vouée spécialement au culte des prérogatives royales. On a cru que la monarchie était devenue plus forte sous le ministère du duc d’Aiguillon qu’elle ne l’avait été sous celui du duc de Choiseul, et l’on a dit que si Louis XVI, mal conseillé par la frivolité d’un vieillard et par la générosité de son propre cœur, n’avait pas déserté les larges voies jalonnées par le chancelier Maupeou, l’avenir se serait préparé pour l’autorité royale sous de moins sombres auspices. La réponse est des plus simples. C’est à l’influence extérieure conquise par les gouvernemens que se mesure leur force intrinsèque; cette influence ne manque jamais aux entreprises heureuses, elle en est comme le sceau. Or il n’est aucune époque de son histoire où la France ait été plus inutile à ses alliés, plus dédaignée par ses ennemis, plus abaissée à ses propres yeux, que dans les trois années qui s’écoulèrent entre le coup d’état de 1771 et la mort du roi Louis XV.

En prenant le portefeuille des affaires étrangères, le duc d’Aiguillon n’afficha pas la prétention de suivre une politique différente de celle de son prédécesseur; mais s’il continua celle-ci, ce fut avec

  1. Cette protestation fut signée au mois d’avril 1771 par tous les princes, à l’exception du comte de La Marche, de la maison de Conti.